Chapitre 20

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"I'd take another chance, take a fall
Take a shot for you
And I need you like a heart needs a beat
But it's nothing new"

La foire du London Art Fair abritait une centaine d'artistes, certains solidement accomplis, et profitant de cet évènement pour se créer encore plus d'opportunités, d'autres étant de nouveaux talents, cherchant avec désespoir à attirer l'attention des amateurs d'art - c'était mon cas. Les stands s'étalaient à perte de vue, et quelque part au milieu de tout ce brouhaha, il y avait moi. Après la nuit passée chez Harry, j'avais recommencé à peindre. Mon pinceau avait coulé tout seul sur son support, comme une vérité retenue, comme un souffle qui se libérait enfin. J'avais passé trois jours entiers à peindre, pour fournir les trois œuvres qui seraient exposées. Je n'avais presque pas mangé, pas dormi non plus : seule la frénésie d'un renouveau artistique m'avait maintenu éveillé, et même si je me sentais un peu fatigué, j'étais heureux d'y être parvenu.

Lorsque je m'étais réveillé dans les bras de Harry, je mentirais si je disais que je n'avais pas pensé à fuir. Tout en moi me criait que j'étais un salaud de faire ça à Adam, même s'il ne s'était rien passé. Les révélations de Harry m'étaient revenues en tête. J'aurais envie de t'embrasser. Le souvenir avait fait battre mon cœur si vite et si fort que j'avais cru défaillir. Le pire avait été de me rendre compte que j'aurais pu me laisser aller à cette étreinte. Que je l'avais voulu de façon presque douloureuse.

C'était révélateur de ma vie, de mon couple, de tout ce qui gravitait autour de moi. Je n'étais pas quelqu'un d'infidèle. Au contraire, je voulais si ardemment appartenir à quelqu'un, mais une partie de moi ne se sentait définitivement pas revendiqué par Adam. D'abord il y avait eu l'incident Milo, et maintenant... Maintenant j'aurais pu mourir pour passer une autre nuit avec Harry. Avec lui, je n'avais pas fait de cauchemar, et le lendemain, quand il m'avait retenu, et qu'on avait pris le petit-déjeuner ensemble, je ne m'étais jamais senti autant à ma place. Jusqu'à ce que Caleb se lève et nous prenne la tête bien évidemment.

Accoudé sur ma table un peu branlante, je regardais la fourmilière de visiteurs devant moi, desserrant ma cravate. Je n'avais jamais aimé les costumes, ça m'étouffait, ça me rappelait que je n'avais rien à faire dans cet accoutrement. Adam, lui, au contraire, était dans son élément, il virevoltait de connaissance en connaissance, me laissant le loisir de souffler un peu. Nous allions un peu mieux depuis quelques jours, j'avais fait une croix sur les excuses que j'attendais, et lui se montrait à nouveau plus doux. Mais quelque chose clochait, sonnait faux. Et plus je passais du temps avec lui, plus je m'en rendais compte. Doucement, les esquisses d'un choix se dessinaient devant mes yeux.

– Louis ! me héla une voix.

Adam apparut avec un homme d'âge mûr qui me sourit.

– Je te présente Ezra. C'est un de nos actionnaires, et il est amateur d'art.

Je saisis la main que me tendait Ezra avec un sourire factice. Le fait que des hommes avides d'argent pouvaient comprendre l'art m'avait toujours laissé dubitatif, comme un sentiment d'incongru, de faux. Ce n'est que par la suite que j'avais compris qu'ils n'en saisissaient pas l'essence. Ils appréciaient l'art pour ce que ça montrait d'eux : des êtres cultivés, sensibles, et puissants. Sauf que l'art, ça ne se revendiquait pas, c'était un monde où nous en étions les esclaves. Je ne faisais pas d'art par plaisir, encore moins pour la reconnaissance. Je peignais parce que sinon j'en mourais. Je n'avais pas le choix, ce n'était pas quelque chose qui se choisissait. Ça s'était imposé à moi. Peindre était le cri qui prenait place dans mon thorax, mon discours enfiévré, c'était tous ces mots que je n'avais jamais su sortir, toutes ces confidences que j'aurais dû soumettre. C'était mon langage.

Grey - L. S. [BXB] TERMINÉE Où les histoires vivent. Découvrez maintenant