Chapitre 21

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« The devil doesn't bargain
He'll only break your heart again
It isn't worth it, darling
He's never gonna change »

Il s'était écoulé plusieurs jours après la foire, et à chaque fois, je me réveillais avec cette impression de suffocation, mes poumons en feu et mon esprit en brume constante. Tout sonnait faux, du lever au coucher et j'avais décidé de voir la réalité en face : je n'étais plus heureux dans cette vie. Il y avait des moments de bonheur, mais Adam n'avait cessé de me reprogrammer à sa guise depuis notre rencontre, et je répugnais la personne que j'étais devenu.

Harry avait raison, Adam avait été une béquille, je m'étais convaincu que j'en étais fou amoureux, mais était-ce la vérité ? Je l'aimais, bien sûr, mais comment lui dire que je ne voulais pas de cette vie de banlieue ? Que je ne voulais pas être nourri par un traiteur ? Que je voulais compter mes billets à la fin du mois ? Comment lui dire que moi, le gosse des bas fonds de Londres, qui avait connu l'électricité coupée un nombre incalculable de fois, les pâtes au ketchup, les vêtements récupérés par ci par là... Comment lui dire que je voulais me rapprocher de ce petit chaos-là au lieu de le fuir ? La vie qu'il m'offrait m'endormait, et endormait mon art. J'avais besoin d'autre chose.

J'attendais dans notre cuisine, celle qui serait bientôt entièrement sienne, tapotant le marbre de notre table. Je ne pouvais décrocher mon regard de l'horloge murale. C'était fou comme le temps s'étirait dans ce genre de moments désagréables. Chaque particule de mon corps se tournait déjà vers la fuite, mais je n'avais pas le droit de disparaître simplement en laissant un mot. Je me serais haï pour le reste de ma vie. Alors j'avais bouclé mes valises, et j'avais décidé de partir avec dignité.

Lorsque le cliquetis de la serrure tinta, je sursautais. Je me sentais déjà fiévreux, contaminé par la grippe de la lâcheté. Adam apparu dans la cuisine quelques secondes plus tard, sa mallette à la main, et de suite, son front se barra d'une mine inquiète. Je devais vraiment avoir l'air malade. Il me devinait si bien... Comment cela avait-il pu lui échapper, que je n'étais pas heureux ? Pas pleinement accompli ?

– Je... On doit parler, annonçais-je en tremblant.

Il se contenta de me fixer sans rien dire, tout en posant sa mallette sur le sol. Il restait imperturbable, et ça me désarmait complètement.

– Je... Je... Je ne veux pas d'enfants, balbutiais-je. 

Mon aveu tomba comme un mouchoir de soie entre nous. J'aurais pensé qu'il aurait froncé les sourcils, qu'il n'aurait pas compris, mais à la place, il se redressa. Il avait soudainement l'air d'un joueur d'échecs.

– Qu'est-ce que tu veux dire, Louis ?

Son inquiétude était passée pour laisser place à sa froideur professionnelle d'homme d'affaires. Il n'avait jamais utilisé ce ton avec moi. Les mots se bloquèrent dans ma gorge, palpitant dans une chaleur insoutenable. Je déglutis, essayant de faire passer ce fer à chaud, et d'articuler distinctement. Je n'aurais pas eu la force de me répéter.

– Je te quitte. C'est ça que je veux dire.

– Tu me.. quittes ?, demanda-t-il comme si ça paraissait incongru.

Évidemment, pourquoi moi qui n'avais rien je quitterais l'homme qui avait tout ? Ce n'était pas ainsi que les choses se passaient habituellement.

– Oui. Je ne peux pas t'offrir ce dont tu...

– Ne me mens pas, Louis. Je te préviens !

Je sursautais de surprise, tant sa voix avait claqué dans l'air irrespirable de la pièce.

Grey - L. S. [BXB] TERMINÉE Où les histoires vivent. Découvrez maintenant