« Peut-être qu'il n'y aura aucun problème si c'était moi qui t'embrassais, murmura-t-il. Peut-être que c'est seulement si tu m'embrasses. »
Jours avant l'accident : 171.
Le six janvier 2024, j'ai fêté l'anniversaire des quinze ans de Thaïs. Bien qu'on soit nés la même année et qu'on soit dans la même classe, cela signifiait qu'on avait quasiment un an d'écart. J'avais à peine fêté mes quatorze ans que Thaïs fêtait déjà ses quinze, et il a passé de longs mois après cette journée à en profiter pour me rappeler qu'il était mon aîné et que je devais par conséquent le respecter.
Mais ce n'est pas ce qui a été le plus marquant à propos de cette journée.
Le six janvier 2024, je préviens ma sœur que je vais faire le mur coûte que coûte pour aller voir Thaïs, parce que c'est son anniversaire. Je sors par la fenêtre, comme je le fais toujours, et on se rejoint à la cabane, où il m'attend déjà.
— T'en as mis du temps ! Tu m'as apporté un cadeau ?
— Tu verras, sois patient.
On ne passe pas beaucoup de temps à se préparer et on saute dans le premier train qu'on trouve pour Paris. Je pose ma tête sur l'épaule de Thaïs pendant le trajet, et des gens nous regardent, l'air attendri. Probablement parce que Thaïs est en jupe, qu'il a des cheveux longs, qu'il est maquillé et qu'il ressemble à une fille. Si les gens savaient qu'on est tous les deux nés garçons, même si Thaïs n'en est pas un, ils nous jetteraient probablement des regards noirs, et ça me fait penser à à quel point le monde est injuste.
Quand on sort, je rapproche Thaïs de moi dans un élan protecteur, alors que je sais très bien que si y'a un de nous deux qui a besoin d'être protégé, c'est moi.
L'autre jour, en étant sur Paris avec ma famille, j'ai repéré un mur qui était si vide qu'il avait grand besoin d'un rafraîchissement. C'est là que j'amène Thaïs. Je lui tends ma bombe de peinture rouge.
— À toi l'honneur, c'est ton anniversaire, après tout.
Il prends la bombe et trace, sans aucune hésitation, Now or Never.
Je me sens paralysé devant les immenses lettres face à moi, et j'ai l'impression que la phrase s'assemble en face de moi pour former un message duquel je dois repérer le sens. Quelque chose dans cette phrase si simple, Now or Never, trois mots, me marque assez pour que je prenne une décision. Parce que Thaïs a raison, c'est maintenant ou jamais.
C'est là que je prends mon courage à deux mains.
— Donc, Thaïs, je voulais te parler, dis-je en me rapprochant de lui.
On est à quelques centimètres l'un de l'autre mais on ne se touche pas, et c'est un énorme problème, parce que chaque cellule de mon corps hurle son nom, et que j'ai l'impression que je vais m'évanouir si je ne le touche pas dans les dix secondes qui suivent. C'est terrifiant, comme sensation, et j'ai envie de vomir pendant un instant.
— Je suis amoureux de toi. T'es amoureux de moi. On a établit ça, pas vrai ?
Il acquiesce, et je vois qu'il est aussi nerveux que moi, et ça me rassure.
— Bon, je continue. Je pense que c'est faux. Je suis pas amoureux de toi.
Je vois qu'il a un mouvement de recul et il commence à dire :
— Mais t'as dis que...
— Je ne suis pas amoureux de toi. Parce que tu sais quoi ? Être amoureux, c'est rien. Et nous, c'est tellement plus ! C'est... Quand je vois les constellations, je pense à toi. Chacune de ces putain d'étoiles dans le ciel a ton visage.
Thaïs arrête de bouger, et il me regarde avec une expression indéchiffrable, comme si j'étais la plus grande énigme qu'il ait jamais vu.
— Et j'ai terriblement envie de t'embrasser.
J'attends que Thaïs me regarde, anxieux.
— Alors fais-le.
C'est là que j''attrape son visage de mes deux mains et je l'embrasse.
Il y a une seconde d'hésitation pendant laquelle j'ai peur d'avoir fait une connerie et qu'il ne réponde pas à mon baiser, mais une fois la surprise passé, il me le rend immédiatement.
On s'écarte l'un de l'autre, tous les deux un peu sous le choc, et on se regarde, nos cheveux en batailles.
— C'était mon cadeau d'anniversaire, je balbutie.
Il ne répond pas, mais au bout de quelques secondes, Thaïs demande d'une voix rauque :
— Je peux t'embrasser encore ?
— Je t'en supplie, fais-le.
Quand ses lèvres s'écrasent de nouveau sur les miennes, le vide se fait dans mon cerveau. Je vais avoir du mal à décrire ça de manière cohérente, et puis bon tout le monde s'en fout, mais ça ne me fait pas du bien. Enfin, si, évidemment, mais c'était surtout un étrange soulagement qui se répandait dans toutes les zones de mon corps comme un médicament. Comme si je respirais enfin après une vie entière sous apnée. Comme si les étoiles rencontraient la lune et que soudain, la nuit n'était plus si noir.
Embrasser Thaïs, ça ressemble à allumer la lumière quand il fait noir. À marcher dans la rue et à se retrouver sous un lampadaire.
Et je promets que je n'exagère même pas.
Quand on arrive enfin à décoller nos lèvres l'un de l'autre, je finis par demander :
— On sort ensemble, ou un truc du style ?
Et il répond :
— C'est pas toi qui a toujours dit qu'on était plus que ça ? Je vois pas l'utilité, enfin, à part si t'as une objection.
Et je fais :
— Non, j'ai jamais voulu que ça.
Et puis au final, je pense que ça me convient un peu mieux, qu'on ne soit pas en couple. Si jamais on me demande “Qui c'est Thaïs, pour toi ?” je pense que ma réponse instinctive est et sera toujours “mon meilleur ami”. Avant d'être la personne dont je suis amoureux, il est surtout un roc, une personne qui, depuis légèrement plus de quatre mois, est toujours là pour moi, et me fait me rendre compte de ce que ça fait d'avoir envie de vivre.
Il est mon meilleur ami, et il le sera toujours, et c'est pour ça que c'est la première chose qui me vient à l'esprit : Thaïs Camara n'est pas mon copain, c'est mon meilleur ami, et c'est déjà bien assez, bien plus que tout ce que j'aurais jamais pu imaginer. C'est mon meilleur ami, pas mon petit ami, et ça me va. Parce qu'on a pas besoin de ça, on sait tous les deux que c'est plus, et c'est ça qui change tout.
En rentrant dans le train, je suis à nouveau complètement affalé sur lui, et il caresse mes cheveux doucement.
— C'est bizarre, de t'avoir embrassé après que je t'ai déclaré mes sentiments, alors que je suis en crush sur toi depuis que je t'ai vu dans cette salle de classe en sixième. J'aurais jamais pensé que t'étais accessible.
— Je pensais jamais être accessible à qui que ce soit avant toi, je crois. Mais c'est trop bien, d'avoir quinze ans et d'avoir rencontré la personne avec qui je veux faire ma vie.
Ça me fait sourire.
— Je t'aime.
Je peux enfin le dire librement.
— Je t'aime aussi. Je t'aime jusqu'aux étoiles.
Je sais que je vais probablement passer un mauvais quart d'heure demain, mais je m'en fiche complètement.
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La cabane en haut de l'arbre | TERMINÉE
Teen FictionSPIN - OFF D'ÂMES PERDUES deux collégiens, une cabane, leur premier chagrin d'amour. et l'année où tout a dérapé.