fragment numéro 33

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« Ce n'était rien, mais ce rien lui appartenait. Comme il l'aimait et le haïssait ! Comme il en était fier, et comme l'endroit s'avérait misérable ! »

Jours avant l'accident : 78

C'est le premier jour des vacances, des vraies, mais avec Thaïs, on a eu l'intelligence il y a quelques semaines de s'inscrire aux cours particuliers pour la remise à niveau pour se préparer au brevet, ce dont on avait grandement besoin étant donné qu'on a pas étudié une seule fois depuis septembre, et que le brevet est dans moins de trois mois. J'emprunte le vélo de ma soeur pour aller jusqu'à l'école.

Thaïs ne vient pas aux exercices de soutien.

Je suppose que ça me rassure : je ne sais pas comment j'aurais supporté sa vue toute une matinée.

Je m'assois seul au fond, comme j'avais l'habitude de le faire avant que Thaïs n'apparaisse dans ma vie, et je n'écoute pas un seul mot de tout le cours. Une fille assise derrière moi dont je ne connais même pas le nom alors qu'on a été dans la même classe toute l'année me tapote l'épaule pour me demander où est Thaïs Camara. Je cite « vous êtes toujours ensemble d'habitude, lui et toi. »

Je me contente de lui rétorquer sèchement « eh bien, pas aujourd'hui. »

En rentrant à vélo, je pédale trop vite et je fais un vol plané, m'écrasant tête la première contre l'asphalte de la route. Je sens ma plaie à la tête se rouvrir et j'ai très mal, mais je choisis volontairement de l'ignorer et de faire comme si tout allait bien. Je rentre à pieds en traînant le vélo de ma sœur derrière moi.

En arrivant chez moi, je monte directement dans ma chambre sans penser à désinfecter ma plaie. Habituellement, c'est Thaïs qui le fait pour moi.

En voyant étalé par terre les multiples dessins que j'ai fait de nos mondes, qui sont empilés partout sur le sol, dans chaque coin, je ressens un accès de rage tel que j'en ai rarement ressenti. J'aperçois le rouge à lèvre de ma sœur Noémie posé sur le haut de ma commode et je l'attrape, puis je barre chacun des dessins qu'on a fait ensemble au rouge à lèvres, un par un.

Comme ce n'est pas suffisant pour apaiser ma rage, je prends un stylo rouge, des feuilles blanches, et je dessine les signes du néant, encore et encore, le pseudonyme de Thaïs, son pseudonyme de merde en imaginant que je donne des coups dans son magnifique visage de merde.

Je me mets à pleurer et des gouttes atterrissent sur les dessins, gachant le peu de traits qui étaient toujours visibles. Ma plaie à la tête me fait mal, mes genoux écorchés me font mal, et surtout, mon cœur me fait mal, et semble se briser en boucle dans ma poitrine. Quand je pense que c'est fini, tout recommence, en deux fois pire, et ça me donne envie de mourir.

Je noircis des pages et des pages de signes du néant, que je ne me prends pas la peine de jeter à la poubelle, puis je me glisse dans mon lit et m'emmitouffle dans mes couettes, désespéré.

Je pleure pendant tellement longtemps que je ne sais pas combien de temps je reste comme ça, coincé entre mes énormes couettes et mon matelas, le regard dans le vide, mes lunettes embuées, mais ma sœur finit par frapper à ma porte. Je pense à lui dire de dégager, mais je me dis que ça ne ferait que lui donner encore plus envie d'entrer, alors je soupire et lui grogne d'entrer.

Je la vois balayer mes murs des yeux, perplexe, puis elle m'aperçoit, enfoncé dans mon lit, et elle se précipite à mes côtés, l'air inquiète.

Elle regarde, paniquée, le désordre de ma chambre, semblant comprendre que c'est complètement la crise. Elle ramasse un de mes dessins pour le regarder et je n'ai pas le courage de lui dire de le lacher, pas la force non plus, qu'elle soit physique ou mentale. Je ne me suis jamais senti aussi à bout, et dieu sait que je me suis déjà senti plus que mal.

La cabane en haut de l'arbre | TERMINÉE Où les histoires vivent. Découvrez maintenant