« Ronan se disait parfois qu'Adam était si habitué à ce que la bonne façon d'agir lui fasse mal que rien d'indolore ne paraissait envisageable. »
Jours avant l'accident : 262.
Un coup part, puis un deuxième, puis un troisième. Je suis habitué, mais ça ne fait pas disparaître la douleur. Je me tiens la joue dans la paume, je sais qu'elle est en train de gonfler.
Je lève les yeux vers mon père, mais il en profite pour m'en coller une à nouveau. Je prie de toutes mes forces pour que ma sœur passe le pas de la maison et me voit par terre et se rende compte que je n'en peux plus, mais évidemment ça n'arrive pas.
— T'as vraiment cru que tu pourrais m'échapper hein, petite merde ? Crie mon père, et je me crispe de plus en plus.
Je sens que je saigne du nez, alors j'essaie de ramper jusqu'au paquet de kleenex le plus proche, mais mon père me barre la route. Il me remet une claque, et s'en est trop. Les vannes s'ouvrent, et je me mets à pleurer et renifler pitoyablement.
— S'il te plaît, papa, arrête ! Je crie.
— Supplie-moi encore, réplique-t-il vicieusement.
Je m'en fous de me faire humilier, je veux juste qu'il arrête, j'ai trop mal, je sens que je saigne du genou et du nez et ma tête tourne et j'ai envie de vomir et mes yeux se révulsent dans leurs orbites et j'ai mal.
— Je t'en supplie, papa, s'il te plaît, arrête de me frapper, s'il te plaît.
— Tu promets de ne pas refaire ça ?
— Je te le promets.
— Tu promets quoi ?
— Je te promets de ne jamais ressortir dehors la nuit sans ta permission.
— C'est bien.
Il m'aide à me redresser, et me regarde avec tendresse.
— Tu sais que je t'aime, pas vrai, Jo' ? Je fais ça pour t'aider.
— Pourquoi que moi ? Pourquoi pas Sarah aussi ?
C'est une pensée désespérée, et je me déteste de la penser. Mais pourquoi seulement moi ? Pourquoi il ne fait pas ça à Sarah aussi ? Si je ne peux pas l'empêcher de me frapper, pourquoi Sarah n'est pas dans la même merde ?
— Mon Jo', tu es un homme, tu dois apprendre à t'endurcir. Ce n'est pas en t'entichant de garçons et en désobéissant à ton père que tu réussiras dans la vie. La vie est moins exigeante pour les filles, ta sœur n'aura qu'à se trouver un bon parti. Mais toi, tu dois apprendre à être plus fort.
Je hoche la tête et je me rends compte que je trouve ça logique, même si je sais qu'objectivement ça ne l'est pas du tout.
Ça a commencé il y a trois ans, la première fois. Je me souviens que j'avais cassé le vase de famille super cher en chahutant dans l'escalier, et mon père était entré dans une rage sourde. Il m'a regardé, il a regardé le vase, puis il a dit :
— Tu vas recoller les morceaux du vase. Je ne veux pas te voir abandonner avant d'avoir à nouveau mon vase.
J'ai passé une matinée et une après-midi entières à tenter de recoller les morceaux à la colle forte. Quand je m'apprêtais à abandonner, il me mettait une claque, et m'obligeait à continuer.
Ma sœur a finit par rentrer de l'école, et quand elle est arrivée dans le salon, elle s'est écriée joyeusement :
— Oh mon dieu Jonas, tu devineras jamais ce qu'il s'est passé ! Mya a dit que j'étais son héroïne, et tout. Je suis trop contente. Et aussi, David m'a parlé, alors que personne me parle jamais de base. Et puis en cours on a parlé de Rimbaud et Verlaine, c'était trop cool ! Toi, t'as passé une bonne journée ?
Je me suis dépêché de prendre les bouts de verre qui restaient et les cacher derrière mon dos.
— Oui, une super journée !
— T'as fait quoi ?
J'ai inconsciemment serré les morceaux de verre plus fort et je les ai senti s'enfoncer dans mes paumes, mais je n'ai pas flanché. J'avais trop peur de ce qu'il m'arriverait si je le faisais.
— J'ai joué avec papa !
Ce n'était pas complétement faux. Ce n'était pas complétement un mensonge.
Sarah a sourit, sans se douter une seule seconde de ce qu'il se passait vraiment.
— Ok ! Je vais dans ma chambre, tu peux venir si tu veux qu'on regarde un truc ensemble.
— Non, ça ira, je vais aller lire !
J'ai fait de mon mieux pour lui sourire, et, heureusement, on ne voyait pas les larmes dans mes yeux, grâce à mes lunettes.
Une fois qu'elle a monté les escaliers, j'ai sorti mes mains de derrière mon dos, j'ai observé mes paumes, et j'ai vu qu'elles saignaient très profondément, à cause des bouts de verre que j'ai enfoncé dedans.
Ça ne s'est pas arrêté depuis.
Une fois que j'ai grimpé les escaliers et que je suis dans ma chambre, j'enfonce mon visage dans mes coussins et je ferme les yeux. Je peux rêver. Je peux partir d'ici, m'en aller, et oublier qui je suis et pourquoi je suis là pendant quelques heures. Je ne suis pas obligé de souffrir.
— J'arrive, je souffle, et soudainement je ne suis plus là.
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La cabane en haut de l'arbre | TERMINÉE
Genç KurguSPIN - OFF D'ÂMES PERDUES deux collégiens, une cabane, leur premier chagrin d'amour. et l'année où tout a dérapé.