Point de vue de Jack
Je suis prêt en découdre ; merde, quelqu'un a osé abîmer mon pantalon ! Je l'aime beaucoup celui-là avec son jean délavé et maintenant extensible après plus d'une centaine de lavage ; mais je ne dois pas m'éparpiller.
Je ne suis pas en face de deux-trois simplets, mais face à une armée de chthoniens comme moi. Nous sommes issues de l'imaginaire des humains depuis des temps immémoriaux, nous nous nourrissons des accumulations de pensées, communément appelé egeiro, cette ressource immatérielle indispensable pour nous. C'est grâce à cette énergie que nos villes et nos cités ont été bâties dans l'intra-terrestre, sur un plan en parallèle du nôtre. Elle est partie partout autour de nous, mais nous avons chacun un accès unique à nos particularités, ou comme je préfère décrire, à notre genèse. Nous sommes tous issus du même principe de ce monde, mais nous nous accomplissons chacun à notre manière, façonnant notre route au rythme de nos pas, telle une lanterne qui nous montre le chemin à chaque avancée.
Sauf que notre unité s'arrête à cet instant. En face de moi, les chtoniens me menacent de leurs particularités, de leurs charmes et de leurs envoûtements ; ce n'est clairement pas le temps de démarrer une baston ici bas. Plusieurs types de magie se font sentir et ça rend tout le monde à cran, dont moi. Mon épiderme est recouvert de chair de poule et je n'essaie même pas de contrôler ma lanterne. Sa lumière est agitée soufflée par des rafales de tempêtes invisibles d'une lueur rougeoyante ; on dirait vraiment un fanal à tempête.
— Tu es certain de ne pas vouloir être éclairé ?
— Merde, tu n'as pas fini avec tes jeux de mots à la con ? grondé-je à l'intention de ma compagne lanterne.
Un rire moqueur résonne tout prêt de mon oreille et je manque de me faire embrocher par une fourche. Je lance un regard mauvais à l'épouvantail et je tends la main illuminée de flammes ; lui, il allait finir sur le bûcher.
— Reste derrière moi, conseillé-je à ma lanterne parlante.
Je sais, vous vous dites que ce n'est pas censé parler une lanterne, mais je vous expliquerai tout cela plus tard. Là, je suis dans la mouise et je manque de temps. Mes flammes lèchent l'épouvantail qui glapit et qui recule pour étouffer le début de feu sur lui.
Des cris se font entendre, mais je n'en ai rien à cirer. Je suis acculé au mur, sans aucune possibilité de sortie et on me tire dessus sans sommation. Je ne vais pas me laisser faire ; je ne l'ai jamais fait et ce n'est clairement pas aujourd'hui que cela va commencer.
Salem s'approche de nous en marchant dans les airs, apparaissant au gré de ses désirs des plaques de concentration d'air. Son paréo sombre virevolte au fil de ses pas, mais je ne regarde que ses yeux. Elle me fait face et cela semble calmer l'assemblée. Je sens que je peux souffler ; cette petite sorcière allait souffler sur la braise de cette surréaction des plus stupides.
— Jack O'Lantern, renard de la Fontaine, tu es en état d'arrestation.
Hein ? Pardon ?
Je suis largué. Je suis incapable d'aligner intelligemment des mots tant je suis sur le cul. Comment ça, je suis en état d'arrestation ? Merde, même le Diable n'a jamais eu cette audace, je suis clairement un dommage collatéral de cette mascarade et c'est moi qu'on arrête ?
Je ne le prends pas, et encore moins en me faisant interpeller comme «renard de la Fontaine». Personne n'utilise ce nom à la légère, c'est une insulte à mes oreilles.
Salem me regarde froidement, mais c'est le seul luxe que je me donne. Je laisse la rage m'envahir et alimenter ma lanterne. Un rire euphorique se fait entendre, la lumière comme la chaleur s'intensifient. J'entends qu'on somme de m'arrêter, d'appeler des renforts, mais je m'envole sur ma lanterne sans leur laisser la possibilité de me rattraper. Des sortilèges sont jetés et ils tentent de m'atteindre, mais elles brûlent au contact de ma lumière abrasive.
Je monte plus haut jusqu'à atteindre les séries de fenêtres qui permettent d'aérer les lieux. Avec l'aide Percheron le marteau, je fracasse l'une d'entre elles et je me faufile dans l'interstice. Je sens la vitre me griffer, mais j'ignore l'information de la douleur jusqu'à ce que je sois libre de l'autre côté.
— Merde, putain, ils vont le payer...
— Eh ! Aide-moi ! s'écrit la lanterne.
Je soupire tout en secouant la tête à l'écoute de tels propos. Mais à quoi elle pense cette boule de lumière ? Toujours accroupi, je me tourne vers elle, les mains tendues dans sa direction pour l'aider à sortir. De ce que je peux voir, elle devrait avoir plus de facilités que moi à passer au travers de la fenêtre brisée. Je n'aurais même pas à à la réparer !
— Quand est-ce que je t'ai laissé derrière moi ?
— Il y a 86 secondes, me réplique-t-elle sans hésiter.
J'essaie de garder mon calme, mais je finis tout de même par grogner contre cette foutue lumière. Pourquoi devait-elle toujours prendre ce que je dis pour argent comptant ? Et je ne mentionnerais pas sa capacité de calcul mental ; on n'a pas le temps pour une dispute.
Pourtant, je peste contre celle-ci, on s'envoit des pelletés d'injures, mais je parviens à la faire passer entre les bris de verre de la fenêtre. La lanterne finit par léviter joyeusement, chantant une comptine qui m'énerve, mais je l'ignore. Au moins, on a quitté le bordel d'en bas, mais ce n'était pas terminé.
La ruelle sombre de la Cité chtonienne est calme sous les lueurs blafardes de notre astre artificielle, nourrie à même la lumière de la lune. Je perçois le boucan d'en bas et cela m'inquiète malgré tout ; je n'ai pas spécialement envie de devenir un fugitif, j'aime bien vivre ma vie pénard, mais ce n'est plus un luxe que je peux me permettre. Là, il fallait qu'on trouve une planque et un moyen de comprendre quelque chose à ce qui s'est passé en bas.
Je ferme les yeux un moment, générant mentalement une carte des environs à la recherche d'un endroit où se cacher.
— Où va-t-on ?
— Arrête de poser des questions stupides, il faut déguerpir au plus sacramant*.
— Et c'est où ça «Plussacramant» ? C'est loin ?
Ce n'est pas une lanterne qui éclaire bien loin, celle-là, mais je ne l'abandonnerai pour rien au monde.
°°°*Sacramant : une sorte d'adverbe du français joual québécois qui signifie «vite» dans ce contexte (donc un dérivé orale de «sacrements»)
Coucou ! Nouveau chapitre et on tombe direct dans les mésaventures de Jack qui se retrouve être suspecté de l'attaque. Dans ce chapitre, il parvient à se sauver, mais pour combien de temps ?
Sinon, la manière dont le cadre est mis en place est clair ou pas du tout ?
À demain pour la suite ^^
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Ô ! Lanterne, c'est pas le temps de me lâcher
Roman d'amourRomance d'Halloween «ennemies to lovers», sombre, drôle et léger. Jack O'Lantern, celui qui a réussi l'exploit de fourvoyer pas une, pas deux, mais trois fois le Diable en personne. Un exploit connu depuis la nuit des temps qui l'a rendu célèbre mal...