14. Andreia

13 1 0
                                    

J'ai beau me retenir inlassablement que ça ne me fait rien, mais je n'y peux rien : je suis jalouse. Bon, je l'admet, dans ma tête certes ; il ne faut pas trop m'en demander.

Je ne peux m'empêcher de les fusiller du regard. Jack et sa foutu lanterne m'énervent et je me trouve pathétique de les détester par pure jalousie. Ils rient ensemble, l'homme taquinant cette petite fae de feu qui virevolte autour de lui — là, elle l'enlace jusqu'à presque l'étouffer. Ils nagent dans le bonheur et je suis l'ingrate en arrière.

J'ai accepté de donner à la Lanterne une apparence, mais pas celle qu'elle m'a exigée ; quelle idée de vouloir être un chat-citrouille, ou chatrouille comme elle avait tant aimé répéter. Elle m'avait presque cassé les oreilles, j'ai failli perdre patience plus d'une fois, mais ses yeux m'ont à chaque fois berné par leur innocence. Sans cet atout, je crois que je l'aurai corrigé, mais je ne pense pas que l'autre m'aurait laissé faire. Heureusement, Jack a réussi à la convaincre de prendre un déguisement plus discret, je n'aurais su faire mieux à sa place.

Du coup, nous voilà de retour à la citadelle de la Purge. Jack a l'apparence d'un Fae de feu également, une population plutôt commune et pacifiste, mais ce n'est pas pour cela que je ne cesse de lui lancer des œillades : il n'arrête pas de me fixer. Pourquoi ? Qu'est-ce qui veut ?

Je ne peux m'empêcher de replacer une mèche derrière mon oreille, agacée, mais celle-ci s'échappe tout aussi tôt. C'est là que la main de Jack arrive, mais je m'éloigne prestement. Je plisse des yeux tout en gardant à l'œil ses deux mains.

— Tu fais quoi ? grogné-je.

— Je voulais toucher tes cheveux, y'a un interdit ou quoi ?

— Oui, justement, répliqué-je de mauvaise humeur.

C'est là qu'il me regarde, complètement interloqué. Je soutiens son regard, ennuyé par sa réaction ; qu'y a-t-il de si étrange ? Je n'aime pas qu'on touche mes cheveux, point. Il y a des raisons que je ne souhaite pas partager, encore moins à cet idiot sur deux pattes.

— Tu sais que je le sais lorsque tu m'insultes ? me fit remarquer Jack, agacé à son tour.

— Et alors ? Ça, ce n'est pas interdit dans notre accord, le nargué-je d'un sourire sardonique.

Son attitude s'assombrit et le mien s'améliore ; c'est vraiment agréable de me foutre de sa gueule. La Lanterne alterne son regard entre nous d'un sourire énigmatique qui me dérange. Je n'aime pas cette impression qu'elle comprend quelque chose que les autres ne comprennent pas, c'est vraiment agaçant son sourire hautain. Je détourne la tête et je fais remarquer :

— Bon, où veux-tu aller en premier, Jack ?

— Pioncer ? propose-t-il.

Je cesse de marcher brusquement et je tourne les talons pour aller secouer cet imbécile de torche sur pattes — je compte garder ce surnom, ça lui va vraiment comme un gant — mais il lève les mains en l'air. Il s'empresse de rectifier :

— Je blague, rabat-joie ! Donc, allons dans les marchés de Bas-Fond.

J'écarquille les yeux avant de jeter des coups d'œil autour de moi, paniquée. Heureusement, personne ne nous a entendu ; ça ne m'a pas empêché de claquer la tête de Jack.

— Non, mais tu veux le crier la prochaine fois ?

Et cet idiot me sourit avant de tenter de le faire. Du coup, je me suis élancée sur lui pour le bâillonner avec ma main, et il fait quoi l'autre nigaud ensuite ? Il me lèche la main, c'est dégueu ! Pourtant, je ne retire pas main.

— Toi, tu veux vraiment que je te botte le cul, grondé-je entre mes dents.

Elle n'a pas tort, Jack.

— Bon, enfin un peu de bon sens !

Je lève les bras en l'air, soulagée d'avoir le soutien du Feu Follet.

Mais c'est vrai que là-bas, on pourra peut-être glaner des informations, poursuit-elle.

Je soupire. Maintenant, je suis toute seule à trouver que cette idée est une très mauvaise idée. Je leur lance à chacun d'eux un regard équivoque à mon ressenti de leur plan, mais ils s'en foutent royalement. Pourquoi ne m'écoutent-ils pas ?!

— Je sais que c'est un endroit dangereux, même pour toi, la concubine, me concède la Torche sur pattes, mais il va falloir passer par là.

— Dangereux ?

Je me mets à rire face à l'euphémisme. Je m'empresse de tirer Jack et Lanterne dans une ruelle, à l'abri des yeux et des oreilles de tous.

— Merde, c'est le pire endroit ! C'est là-bas qu'on trouve toutes les atrocités, toutes les illégalités inimaginables ; merde, ces gens des Bas-Fond vont même kidnapper des humains pour les vendre !?

Bon, j'ai peut-être l'air hystérique, mais là-bas, il n'y a pas de lois. Là-bas, mon statut de concubine ne vaut rien, tout le monde peut s'en prendre à tout le monde. Aucune police, aucune justice, seule la loi du plus fort et des plus malins régentent ce trou d'infâme.

— Je ne suis pas la bienvenue, comment voulez-vous qu'on y aille ? soupiré-je.

Jack me lance un regard moqueur et me demande d'un ton tellement gentil que ça frôle la méchanceté gratuite.

— C'es qui la sorcière entre nous ?

Finalement, elle est débile ? ajoute la Lanterne en me désignant.

— Je suis encore là, les bouffons.

Je ferme les yeux et prends une longue inspiration, ce n'est clairement pas le moment de perdre patience. Eux en profitent pour se marrer et s'échanger une bine amicale, mais moi je réfléchis. En effet, comment s'y prendre ? Même avec ma magie d'illusion, je ne peux pas cacher mon tatouage de Concubine. Je baisse les yeux et je caresse du bout des doigts le dessin gravé sur ma peau. Je peux sentir la magie de M. Inferno, une chaleur constante qui me rappelle la sensation d'un rayon de soleil sur ma peau. Pour une créature infernale, vu comme un monstre et un être malveillant, j'ai trouvé M. Inferno dès plus doux.

C'est lui qui est venu récupérer mon âme, n'ayant pas le droit d'aller au Paradis après avoir maudit Dieu et il m'a offert une nouvelle vie. Cacher sa marque, c'est cracher sur ce cadeau, cette main tendue que j'ai eu le droit à l'époque.

— Eh, Andreia.

Je lève les yeux pour tomber dans ceux de Jack. Il s'est approché sans que je ne le remarque ; merde, il a dû remarquer le déroulé de mes sentiments. Je repousse sa main qui tente encore de saisir une mèche de mes cheveux et je lui assène :

— Lâche mes cheveux et allons-y : je peux mettre des gants, ce n'est pas bien grave.

Pourtant, à l'opposé de mes paroles, tout mon être se révoltait à faire cet affront, mais l'enjeu était bien trop grand. 

Ô ! Lanterne, c'est pas le temps de me lâcherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant