Ô ! Lanterne, c'est pas le temps de me lâcher

32. Andreia

J'ai envie de fuir, pourtant mon corps me trahit en refusant de bouger. La flamme qui brille dans le regard de Jack m'attire. Jamais j'en ai vu de pareil, pas même chez M. Inferno.

C'est alors ça le sentiment d'être belle aux yeux d'un autre ? D'être l'objet principal d'un tableau, d'être le sujet d'une photo ?

La peau rêche de Jack réchauffe ma peau. Au contraire, j'ai l'impression de brûler de plaisir, de vouloir me lover contre lui. Qu'est-ce qui me prend ? Qu'est-ce qui lui prend ?

Je défaille, tout perdre sens. Tout sauf le besoin de basculer vers lui, réduire à néant la distance qui séparent nos souffles et nos lèvres. J'ai envie de goûter l'interdit. Il est si tentant, si attractif que je bouge déjà. Je sens nos bouches s'effleurer. Je gémis tant le contact doux me paraît presque douloureux comme une vibration à laquelle on veut fuir et retrouver.

Un grognement se fait entendre et éclate la bulle dans laquelle je me trouve. Je recule précipitamment, le feu s'éteint au même moment ; nous ne sommes plus seuls. Je me redresse et je vois du coin de l'œil que Jack en fait de même. Il est furax. Ça me perturbe, mais il regarde attentivement la forêt et je décide d'en faire de même. La nuit est sombre, mais heureusement nos yeux sont habilités pour y voir. Des entrelacements d'épinettes rouges, d'aulnes chétifs et de saules bloquent notre vue sur quelques mètres seulement, même si nous faisons le tour.

C'est là que surgit le visage de Will-O. Un instant, il n'y avait rien, et maintenant, la voilà qui m'éclaire. Un cri de stupeur s'étouffe dans ma gorge et je ne bouge plus. Je dévisage son visage de flamme azure dont la forme s'apparente à un animal, une sorte de crâne allongé dont les orbites sont une lueur d'un orangé doré. Des cornes surmontent ce que je crois être sa tête. Elles sont sublimes. Je me détends sans me rendre compte en les contemplant. Des veines lumineuses s'enroulent autour d'un matériau solide d'une nature que je n'ai jamais pu observer. Je tends timidement la main, mais un grognement m'avertit. Je baisse les yeux et je me rends enfin compte des émotions de Jack : il panique pour moi, ça me surprend tant que j'en rougis. J'essaie d'occulter cette information sans quitter des yeux Will-O et je prends la parole de la plus douce voix dont je suis capable.

— Pardonne-moi, je les trouve... magnifiques, mais je comprends.

D'une lenteur calculée, je dévoile mes cornes d'une caresse avant de les faire disparaître. Elle ne réagit pas, mais j'ai l'impression qu'elle ne nous voit pas comme un ennemi, du moins pour le moment.

Andreia, dis-lui la raison de notre présence chez elle, m'ordonne Jack.

Je jette un micro-regard mécontent à Jack, mais Will-O s'en rend compte. Elle s'intéresse à lui, mais différemment de moi. Elle penche lentement la tête sur le côté, comme si elle observait une curiosité, avant de s'approcher de lui. Jack tient la tête, stoïque, mais ses émotions ne sont pas aussi calmes. Je suis même surprise par la fébrilité de son état émotionnel, mais ça ne dure pas : il se fait léché par Will-O.

Son air choqué m'a arraché un rire. Je me bâillonne pour éviter de me faire entendre, mais ce n'est pas très efficace et Will-O s'intéresse de nouveau à moi.

— Pourquoi sorcière rire ?

La voix de Will-O est particulière, féminine et grave avec de drôles de bruits qui me rappellent un feu qui crépite, comme tous Feu Follets que j'ai rencontré pour le moment. Toutefois, ce n'est pas ce détail qui m'intrigue. C'est le fait qu'elle ne semble pas habitué à utiliser le langage, et ça me fait frémir.

Un Chtonien qui ne parle pas bien ne signifie pas qu'ils sont débiles, mais qu'ils sont si anciens qu'ils ne côtoient pas d'autres êtres vivants depuis de nombreux siècles, peut-être même des millénaires.