Point de vue de Jack
Je suis méfiant, d'autant plus qu'Andreia a accepté d'agir selon mon plan : rencontrer Salem.
Nous voilà le lendemain soir en train de flâner dans les quartiers que je squatte habituellement. L'épuisement a eu raison de nous et nous nous sommes reposés après près de 36 heures de cavale, ça commençait à se faire ressentir.
Il s'en est passé des choses depuis que ma route a croisé celle de la concubine. Le détour chez les Soeurs Grises, notre retour dans à la Cité de la Purge, notre escapade surprise au Sidh et par extension ma main, puis notre expédition incognito dans les Bas-Fond ; c'est là que ça commencé à partir en couille. Andreia que j'ai blessé, elle qui prend ma défense avant qu'on ne parvient à sortir Ban des Bas-Fond, puis nous sommes partis chacun de notre côté.
Et là, je ne sais plus quoi penser, elle me met la tête en vrac, cette sorcière ! Qu'a-t-elle bien pu dire à ces trois concubines ?!
Je glapis lorsqu'une affiche emportée par le vent s'écrase dans ma face. Je m'empresse de la saisir pour la retirer et une curiosité me pousse à savoir ce qui se trouve sur le bout de papier. Mes yeux sont bloqués sur la feuille, mes mains tremblent. J'entends le murmure des gens : je sais que je dois avoir les yeux écarquillés de fureur, mais je m'en balance.
Je m'emporte naturellement :
— Mais c'est qui a fait ce portrait ?!
— Je le trouve ressemblant..., commente Andreia d'un ton curieux.
— J'ai la tête d'une citrouille ?
Heureusement que la sorcière m'avait métamorphosé sous une nouvelle forme, sinon j'aurai été grillé. Maintenant, je ressemblais à un simple démon, un déguisement similaire à celui de ma rencontre avec Andreia, mais en bien plus réussi. Je possédais de petites cornes sur la tête où ma Lanterne illumine de flammes, et j'ai une véritable queue de démons malins, une lignée très précise, mais également très populeuse ici bas. Sur le côté droit de l'affiche se trouve l'apparence que j'avais lors de notre expédition dans les Bas-Fond, celle d'un fae du feu — comment l'ont-ils su ? — et l'autre montre ma véritable apparence. Peut-être suis-je difficilement reconnaissable, mais le dessin est si horrible que je n'arrive pas à choisir je dois être insulté, dégouté ou carrément découragé. L'affiche commence à dégager de la fumée sous l'effet de mes états d'âme et je détourne les yeux pour m'apaiser les idées vers la droite. La concubine me lance un regard ennuyé et je grogne à cette réaction, finalement, elle ne m'aide pas tant que ça. Elle n'a pas à me regarder comme si je faisais une crise pour une bagatelle, le dessinateur est mauvais, pourri même !
— Non, mais une citrouille ! C'est dégueu en plus !
Andreia ne dit toujours rien, mais son silence est tellement explicite qu'elle m'irrite de plus en plus.
— Eh, c'est que tu n'as pas goûté au potage de citrouille de ma grand-mère ; c'est à se demander si elle n'essayait pas de tous nous tuer avec, réalisé-je après coup, perdu dans mes souvenirs.
— Peut-être, mais c'est bon les pâtisseries à la citrouille, réplique-t-elle.
Je frémis au souvenir du goût d'une citrouille et je l'imagine en gâteau, comment pouvait-on faire des gâteaux avec une citrouille ? Je veux bien comprendre que nous sommes tous différents, avec chacun des goûts personnels, mais je ne peux m'empêcher d'être dégouté par les citrouilles. Ma grand-mère faisait des potages à la citrouille, c'en était écoeurant, boire ce liquide immonde est mieux qu'un sirop d'Ipéca. Je suis certain qu'il y a pleins de grands-parents très doués derrière un fourneau, mais pas la mienne.
Je chiffonne le bout de papier en marmonnant des malédictions au gars qui a fait ce portrait en me remettant à marcher. La sorcière me suit dans mon sillage et elle demande :
— Donc, on va où cette fois ?
— Boire un coup et jouer aux cartes chez Dr Facilier.
Un autre soupir retentit derrière moi et j'entends :
— Tu ne sais pas faire autre chose de ta vie ?
— Plein, mais aucune autre qui ne peut m'innocenter, la Cocu.
— Je ne vois pas en quoi arnaquer des joueurs de Poker peut t'aider à te disculper et tu risques encore de faire du grabuge.
Je me stoppe net et je prends le temps d'inspirer. Les poings sur les hanches, je fais volte-face et je regarde Andreia. Les bras croisés contre elle fait pigeonner sa poitrine, mais je ne fais aucun commentaire sur ce détail. Sa posture m'annonce qu'elle ne me fait toujours pas confiance, mais elle ne me regarde plus avec cette envie de me foutre dans un trou.
C'est déjà ça de gagner, mais qu'est-ce qu'elle peut m'énerver !
Surtout lorsqu'elle soutient calmement mon regard. Y'a-t-il quelque chose qui peut la perturber, lui faire perdre son sang-froid ? Oui, quand je touche ces cheveux, mais je ne me risque plus. Toutefois, quelque chose d'autre me chicotte, je n'arrive pas à mettre le doigt dessus.
Je secoue finalement la tête et je reprends la route en direction du Dr Facilier. Je n'ai pas envie de lui consacrer du temps ; elle représente un danger tant et aussi longtemps que je ne saurais pas ce qu'elle a révélé à ce trio de concubines.
L'enseigne du Dr Facilier est un dessin d'un visage masqué d'un crâne, il porte sur sa tête un chapeau et il tient entre ses mains des cartes. Je me glisse à l'intérieur, suivi de la concubine et nous nous trouvons une table non loin des joueurs de cartes. On nous apporte rapidement un menu qu'Andreia s'empresse de saisir. Je la regarde, perplexe, farfouillée puis elle montre ce qu'elle désire. Néanmoins, son sourire m'inquiète, il est bien trop amusé.
Je fronce les sourcils et je commande une simple bière.
— Qu'est-ce que tu as pris ? demandé-je dès que le serveur se soit éloigné.
— Une surprise, me nargue la sorcière.
Ma méfiance s'augmente, elle semble être presque gentille et je ne comprends pas ce que cela peut signifier. Elle penche la tête en continuant de m'offrir ce beau sourire, mais je détourne le regard pour zieuter les lieux. Pour le moment, je ne vois aucune trace de Salem, mais je compte sur ma chance.
Si quelqu'un me cherche, ce quelqu'un sait que je finirai par remettre les pieds ici.
Je retiens un sursaut lorsqu'Andreia pose sa main sur la mienne et qu'elle se penche sur moi. Son visage s'approche, j'en retiens mon souffle et elle me murmure d'une voix bien trop douce :
— Fais attention à tes gestes, autant leur faire croire que nous sommes ensemble. Il cherche un homme seul, recherché, pas un couple.
Je frémis de sa voix suave, mais avec des tonalités graves et profondes. Je me souviens que c'est cette même voix qui m'avait tant plu lors de notre première rencontre. Je me détends et j'acquiesçe discrètement d'une pression délicate sur sa main. Andreia recule, toujours avec ce sourire à mi-chemin entre la timidité et une joie sincère.
C'est là que le serveur nous apporte notre commande, mais mon regard est accroché sur les deux petits gâteaux orangés, et un pressentiment me saisit.
— Andreia...
— Oui, mon beau, c'est bien des gâteaux à la citrouille.
Là, elle veut me torturer, c'est officiel.
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Ô ! Lanterne, c'est pas le temps de me lâcher
RomanceRomance d'Halloween «ennemies to lovers», sombre, drôle et léger. Jack O'Lantern, celui qui a réussi l'exploit de fourvoyer pas une, pas deux, mais trois fois le Diable en personne. Un exploit connu depuis la nuit des temps qui l'a rendu célèbre mal...