J'admets que je m'amuse un peu trop de la situation, mais en même temps, je me suis coltinée son attitude de gamin boudeur depuis le début de la journée et là la tronche d'un enfant qui voit de la mort au rat vert en forme d'arbre alors que ce n'est un brocoli.
Alors je lui balance sans gêne :
— Allez, goûte.
Il me fait une grimace tellement immature que je n'arrive pas à me décider entre le trouver mignon ou extrêmement agaçant. Laissant une partie de mon cerveau tergiverser sur le sujet, je le fixe jusqu'à ce qu'il détourne le regard. Il saisit le gâteau, il le renifle avant de prendre une première bouchée. Ses traits sont tirés comme s'il s'attend à un goût infecte, mais il mâche. Je patiente tout en observant sa réaction, mais il persiste avec cette drôle de moue incertaine et dégoutée.
— Jack, merde, ce n'est pas mauvais, c'est sucré.
Il ne me dit toujours rien, mais il déglutit. La «chose» a passé le test de son oesophage.
— Bon, tu vois que tu n'es pas mort.
— Ouin, c'est pas si mal ton gâteau à l'agent orange.
Je lève les yeux au plafond à la comparaison d'une citrouille à un herbicide mortel, même si le jeu de mots est réussi. Il me sourit et il finit le petit gâteau. Le voyant le déguster avec un certain appétit, je décide de me détendre malgré qu'il continue à fanfaronner sur les gâteaux à l'agent orange.
L'arrivée d'un client a attiré mon attention, et il s'agit de Salem. Celle-ci porte son chapeau emblématique de sorcière sur sa chevelure corbeau et son regard argenté sonde si rapidement l'endroit que j'aurais pu ne pas m'apercevoir de son manège. Elle cherche Jack parmi la foule, puis elle se dirige vers le bar. Là-bas, je peux voir une femme ayant la peau de deux couleurs différentes surgir derrière un homme à la peau ébène et ils engagent la conversation.
Discrètement, je talonne Jack et je lui parle via notre lien :
— Là voilà.
— Oui, elle semble connaître Vaudou et Samodi, me répond Jack.
Étrangement, c'est le rictus qui déforme ses lèvres dans un semblant de souvenir qui m'indique que ça l'inquiète, et non le lien qui nous unit nos impressions l'un à l'autre. Une bouffée de chaleur me prend et je réarrange une mèche de cheveux pour me ressaisir. Je saisis un gâteau à la citrouille et je commence à déguster joyeusement tout en poursuivant notre conversation télépathique.
— Es-tu capable de lire le langage corporel de tes connaissances ?
— Pour Vaudou, oui, mais son frère un peu moins. Par contre, j'ai une idée.
Jack s'exclame d'une voix forte qui porte, mais légèrement déformé de la sienne :
— Wow, mais c'est un délice ! Qui est le créateur de ce chef-d'œuvre ?
Je louche, surprise par sa comédie un peu trop poussée, mais ça attire l'attention des deux propriétaires. Le frère s'excuse auprès de sa sœur et de Salem avant de se diriger vers nous d'un pas rapide. Au début, j'ai cru qu'il voulait donner une leçon de bienséance à Jack, mais je suis vite détrompée. Merde, il rougit, il est vraiment ravi du compliment. Samodi sourit à notre approche, ses yeux brillent et il nous répond d'une voix qui se veut calme, mais ne l'est pas totalement :
— Ravi de voir qu'il vous plaît tant. Désirez-vous en reprendre ?
— Oh, oui ! Vous m'offrez votre sœur avec ça ?
— Eh ! m'insurgé-je, les joues rouges.
Je viens de donner un coup de pied à Jack, paniquée ; heureusement, elle masque la pointe de réelle jalousie qui m'a saisie au commentaire de cette Torche-sur-pattes. Un éclair de compréhension illumine le regard de Samodi, et je me décompose. Je récidive mon mécontentement auquel Jack se plaint et je m'empresse de l'inonder de mes pensées dans sa tête sur sa stupidité.
C'est là que Samodi décide reprendre la parole :
— Une autre parole déplacée pour ma sœur et je vous jette par une fenêtre.
— À vos frais ? s'enquit Jack d'un ton trop calme à mon goût.
— À mes frais, confirme Samodi avant de faire signe à son serveur. Nous allons nous occuper personnellement de ces clients.
Puis le propriétaire nous tourne le dos pour rejoindre sa sœur qui est maintenant seule. Ils s'échangent des propos tandis que Jack s'installe confortablement sur sa chaise. Je me penche sans rien cacher de mon énervement à son encontre, heureusement, sa mise en scène m'offre ce privilège.
— Qu'est-ce que tu as fait ?
— J'ai organisé une rencontre avec Samodi et Vaudou, m'explique-t-il calmement.
Là, je le regarde, ahurie. Si je n'étais pas assise, je serais tombée sur les fesses face à sa réponse. Comment a-t-il fait cela ? Peu de temps après, les jumeaux vinrent nous rejoindre. Samodi me tend gentiment la main et je louche dessus ; du côté de Jack, Vaudou fait un signe de la tête auquel mon acolyte débile obéit. J'en fais de même et nous sommes emmenés dans l'arrière-boutique. Des murmures nous suivent et je ne suis clairement pas rassurée, mais je suis le mouvement. Samodi m'offre un sourire rassurant, Jack jubile et je parie que Vaudou est dans une colère glaciale et ça m'annonce rien de bon.
Encore moins lorsque les portes se ferment dans mon dos et que Vaudou enchaîne un premier coup à Jack qui se marre. Le bruit est si intense qui me fait sursauter, ma main lâche celle de Samodi et il prend la place de sa sœur.
Sous mes yeux interloqués, l'homme à la peau d'ébène se bat violemment avec Jack. Le bruit est si fort qui me laisse pantoise et Vaudou s'approche gentiment de moi :
— Salut, tu es ?
— Au mauvais endroit ?
Ma remarque lui arrache un rire, un vrai rire et ça me détend un peu. Sa posture n'a plus rien de belliqueuse et je crois enfin comprendre. Je lève les yeux au ciel et je me traite mentalement d'idiote.
— J'ai compris : toute une mise en scène, c'est ça ?
— Oui et non.
— C'est-à-dire ?
Je regarde la femme à la peau de deux couleurs différentes, une bien plus pale que l'autre. Ses yeux marrons clairs sont rieurs, mais elle finit par m'éclaircir :
— Samodi a dit à Jack que s'il osait à nouveau «me» commander, il allait lui botter le cul. Il a compris que c'était lui, alors une pierre deux coups.
J'ai beau être une Chtonienne, je trouve vraiment que les nôtres sont une bande d'imbéciles dont la raison frôle bien trop souvent la folie. C'est vraiment la manière à Jack pour «organiser un rendez-vous» ?
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Ô ! Lanterne, c'est pas le temps de me lâcher
RomanceRomance d'Halloween «ennemies to lovers», sombre, drôle et léger. Jack O'Lantern, celui qui a réussi l'exploit de fourvoyer pas une, pas deux, mais trois fois le Diable en personne. Un exploit connu depuis la nuit des temps qui l'a rendu célèbre mal...