Point de vue d'Andreia
L'atmosphère gaie est subitement devenue glaciale, même si mon nez me confirme que je n'ai toujours pas bougé. Je suis toujours dans l'antre des Feu Follets, mais visiblement, ils me considèrent comme une suspecte de cette histoire de disparition. Mon cœur se serre alors que la voix enfantine d'un feu follet répète sa question, mais personne ne lui répond. Ça me fait mal d'entendre sa perplexité alors que tout autour de nous, des émotions divergentes se fracassent, mais surtout celles de Jack.Je n'aurai jamais cru qu'ils puissent ressentir quelque chose qui s'apparente à de la trahison, mais à cet instant, c'est tout comme. Pas vraiment envers moi d'après ce que je ressens, mais plutôt à l'idée d'avoir mis les autres membres de sa communauté en danger. Je sais ce que c'est, cette peur, ce lourd poids d'être la cause de la perte de tant de gens, surtout lorsqu'on tient à eux.
Par contre, ici, maintenant, je peux faire pencher la balance, car je ne suis pas responsable de ces disparitions.
Je lève lentement les mains en l'air et je déclare :
— Oui, j'ai des réponses, Brasier, mais je ne suis pas votre ennemie.
Je retiens un tremblement, mais j'encaisse la violente rafale de colère mêlée de haine de Jack : il ne me croit pas, mais je n'y peux rien. Notre relation ne nous permet pas de jouir d'une quelconque confiance, mais ce n'est pas juste moi et ma vengeance, il y a beaucoup plus qui est en jeu.
— J'ai participé à l'enquête de toutes les disparitions, je suis allée sur tous les lieux où nous sommes sûrs qu'un Feu Follet a disparu.
D'un mouvement du poignet qui agite mon bracelet à coquillage, je fais jaillir un de mes portails du néant. J'entends une vague de hoquètements, certains surpris, quelques-uns effrayés, mais je récupère deux boitiers que j'ai soigneusement conservés. J'ouvre précautionneusement la plus petite et je laisse l'énergie d'egeiro s'élever autour de nous. Personne n'a semblé les avoir remarqué, mais quelque chose m'a poussé à les prendre, une intuition ou bien parce que je peux ressentir les attaches et les liens qui font encore écho, mais je montre à tous.
Et les sanglots qui s'ensuivent me confirment ce que j'ai trouvé. Je me suis demandé pourquoi il y avait des billes à chacun de ces endroits, d'une couleur terne, abîmés ou craquelés pour certains, mais lorsque M. Inferno les as vu, il m'a dit de les montrer à personne sous aucun prétexte. Je ne comprenais pas ce que j'avais récupéré, mais là, ici, l'évidence me frappe.
Je me sens tellement bête, tellement coupable de revenir avec cette boîte de billes, les yeux des Feu Follets, la porte de l'âme. Quelqu'un récupère la petite boîte et les sanglots reprennent de plus bel, et je les suis en silence. Le bandeau sèche rapidement ses larmes, mais je garde la tête haute et je retiens mon souffle. C'est triste, c'est horrible, c'est douloureux, mais ce n'est pas mon chagrin, je n'ai pas le droit de pleurer leur chagrin.
— Ce n'est pas tout, parviens-je à dire malgré la boule dans ma gorge.
J'ouvre la seconde boîte, à peine plus grande que la première, et je montre au hasard le contenu.
— Ceci n'a pas été trouvé sur toutes les scènes de crime, seulement chez deux d'entre elles. Reconnaissez-vous ces objets ?
Une main humaine me touche, mais je sursaute malgré moi. Il n'a fait aucun bruit, je n'ai même pas remarqué sa présence. Je me sens si bête de ma réaction que mes joues brûlent, mais je ne fais rien de plus. Je ne suis pas à ma place, j'ai l'impression que les rôles ont été inversés, et que j'ai fait un bond de plusieurs siècles en arrière, mais ça ne me dérange pas. Pas en ce moment, pas alors que je ramène ce qui reste des leurs, ce n'est pas le temps de faire une crise sur la liberté ou la dignité.
On récupère quelque chose dans la boîte. Je ne vois toujours rien, mais je sais ce qu'elle contient.
— Je reconnais l'odeur de ces cendres, mais il y en a plusieurs, affirme Jack.
Je souffle discrètement ; sa voix s'est radouci, enfin et pourtant, c'est mon cœur qui se met à s'affoler. Je serre les poings jusqu'à ce que mes ongles me fassent assez mal pour me ramener à l'ordre. Je ne ressens que la compassion pour lui, en plus d'être embrouillée par ses émotions à lui. Je ne sais toujours pas bien contrôler mes pouvoirs, faire la différence entre mes ressentis de ceux que je marque, ni me faire envahir ou polluer par eux.
Mais là, je dois me concentrer sur le plus urgent : m'en sortir vivante.
— Je croyais Jack derrière les disparitions, avoué-je, mais il est évident que ce n'est pas lui.
Un grognement retentit, mais la vague d'émotion me confirme que c'est bien Jack qui réagit à mes paroles. Je hausse les épaules, mais ce que Brasier me dit :
— En effet, sorcière, mais il me semble que nous pourrions faire une alliance avec toi, mais seulement toi, pas au nom de ton maître.
Je serre les dents à la mention de «maître», mais trop tard, mes émotions m'ont submergé et je sais que Jack l'a remarqué. Je croise les bras sur ma poitrine, espérant qu'il ne déduira pas ce que signifie ma soudaine colère ; je n'ai clairement pas envie de m'expliquer, ni de parler de ma vie privée.
— Quelle genre d'alliance ? demandé-je tout de même. Il me faut plus de détails.
Le rire de Brasier me rappelle du bois qui fend sous l'effet de la chaleur. Il n'est pas moqueur, mais il ne cache rien de leur côté fourbe. Autant je respecte cela, mais venant de quelqu'un d'autre que moi, c'est agaçant.
— Tu as raison de te méfier, sorcière, réplique Brasier d'une voix joueuse avant de poursuivre plus sérieusement, mais ce n'est pas moi qui établira les autres règles.
— Autre règle ? m'exclamé-je en chœur avec Jack.
Un silence s'ensuit, mais j'ignore à quoi ressemble la réaction de Jack ; même ses émotions sont plutôt flous. Moi, je suis surprise et je me sens bête que plus fort. Ça doit être l'endroit qui me rend aussi niais.
— Qui alors ?
— Jack et sa Lanterne.
Un frisson me glace et j'ai peur. Je me vois à nouveau contrainte, liée ou même marquée par un lien de servitude, torturée en enfreignant constamment les lois de non-violence contre lui. Ou pire, qu'il m'oblige à révéler des choses, je devrais alors obéir, quitte à me faire bannir des concubines pour avoir trahi leur confiance. Jack a déjà fourvoyé le Diable tant de fois, il me l'a déjà fait et là, il a une occasion en or pour obtenir tout ce qu'il veut. Il va faire comme les autres hommes, en profiter, accepter, réaliser tous ses fantasmes sur moi, sexuels ou vengeurs, qui sait ?
Je laisse ma magie m'envahir, les coquillages cliquetis autour de mes poignets et je saisis mon bâton du néant via l'un de mes portails.
— Je refuse, grogné-je en reculant. Et si vous essayez, je vous garantie que personne ne s'en sortira et j'utiliserai Jack s'il le faut.
J'entends un mouvement de foule qui recule, la colère des autres à mon égard, mais je n'ai rien à balancer. Je ne laisserai plus personne faire de moi une esclave, plus jamais.
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Ô ! Lanterne, c'est pas le temps de me lâcher
RomantizmRomance d'Halloween «ennemies to lovers», sombre, drôle et léger. Jack O'Lantern, celui qui a réussi l'exploit de fourvoyer pas une, pas deux, mais trois fois le Diable en personne. Un exploit connu depuis la nuit des temps qui l'a rendu célèbre mal...