Point de vue d'Andreia
C'est à ce moment que décide l'employée de revenir. Elle porte une caisse et Jack s'empresse de tendre les bras pour la décharger. Ils se sourient et ça me donne des frissons de dégoût. Ne voit-elle pas qu'il lui sourit pour obtenir plus rapidement son alcool ? Ne voit-elle pas qu'il est gentil et charmeur que pour obtenir quelque chose en retour ?
Je laisse tomber la scène idyllique et je me concentre sur la vieille peau aux envies meurtrières. Je croise les bras et je soutiens son regard de pierre, car non, je n'ai pas peur d'elle. Je la laisse se rappeler à qui elle s'adresse en mettant à l'évidence mon tatouage. Ça ne prend pas de temps qu'elle finit par détourner les yeux en grommelant des jurons à mon encontre.
Ça fait deux siècles depuis cette nuit où j'ai été gravé de cette marque, ce tatouage qui sert davantage d'avertissement qu'une marque d'alliance, un peu comme l'aurait été une bague de mariage. Le nombre 666 a été calligraphié à la manière gothique, mais un symbole de l'alphabet grec barre le dessus et elle ressemble à un x allongé. Toutes les concubines portent cette marque, même si certaines ont des variantes. J'ai obtenu trois choses avec ce tatouage : l'immortalité, l'immunité au vu de mon titre et un semblant de liberté.
Ma gorge se serre aux souvenirs du passé. Des picotements me saisissent aux niveaux des jambes et la douleur fantôme me grimpe de manière fulgurante, mais je chasse les souvenirs en me mordant la langue. Un léger goût ferreux et la douce caresse de mon bracelet à cheville me rappellent où je me trouve. Les braises de ma rage s'apaisent sans jamais s'éteindre, mais je suis en paix avec ce sentiment enchaîné dans mon âme. Or, contre toute attente, une main m'effleure le coude. Je fais volte-face et je tombe sur le regard interrogateur de Jack. Merde, il a dû sentir mon émotivité vis vis le lien magique. Un frisson me saisit, mais je n'essaie pas d'en comprendre l'origine ; je m'empresse de demander :
— Tu as pris ce que tu voulais ?
Il acquiesce, mais son regard continue toujours de me fixer. Il se pose des questions et je ne compte pas lui donner de réponses. Il est préférable qu'il pense ce qu'il veut plutôt que je risque de lui fournir des réponses par mégarde.
— Veux-tu toujours boire ? demandé-je en lançant un coup d'œil à la sœur grise.
Cette dernière semble s'être calmée, mais elle ne me lâche pas. Elle continue de m'observer comme si j'étais soudainement devenue une souris de laboratoire ; je n'aime pas ça. Je veux m'en aller le plus loin possible de cette ville de malheur, mais j'ai promis au mec au chapeau de paille rouge-orange qu'il boirait à sa soif.
— Non, j'ai tout ce qu'il me faut. Au revoir, la vieille.
Cette dernière renâcle, mais Jack se contente d'incliner la tête, ses doigts sur le bord de son étrange couvre-chef. Contre toute attente, la sœur grise lui offre un sourire en coin avant de me lancer une oeillade assassine. Je l'ignore et je tourne les talons, heureuse de quitter cet endroit. Dès que j'ouvre la porte, je prends une grande inspiration et je laisse l'air froid de l'automne m'apaiser. Le soleil brille et elle apaise la douce morsure du froid ; je laisse ce doux frisson m'envahir.
Je suis ici, je ne suis plus dans le passé. Je ne dois pas oublier.
Un courant d'air chaud me sort de mes pensées et je vois par-dessus mon épaule Jack qui ajuste son sac sur son épaule. Je ne sens plus aucune colère chez lui et je n'arrive pas à me décider si je trouve cela étrange ou agréable, mais j'ai plus urgent à faire. Je ne dois pas laisser mes sentiments se faire sentir, ce lien de marquage est pratique, mais l'inconvénient est à long terme. Plus longtemps portera-t-il ma marque, plus vite il comprendra qu'il peut savoir mon humeur avec.
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Ô ! Lanterne, c'est pas le temps de me lâcher
RomanceRomance d'Halloween «ennemies to lovers», sombre, drôle et léger. Jack O'Lantern, celui qui a réussi l'exploit de fourvoyer pas une, pas deux, mais trois fois le Diable en personne. Un exploit connu depuis la nuit des temps qui l'a rendu célèbre mal...