Point de vue de Jack
Je me fais chier !
Mon pied martèle le sol d'un rythme soutenu, au diapason avec mon ennui. Je déteste cette réunion chaque année ; il n'y a pas d'alcool, pas de musique et tout le monde est bien trop coincé du cul ! Des robes à gauche, des tuniques sacrées à droite et je crois même avoir vu un mec avec une cravate.
Vite, quelqu'un abrège mes souffrances !
Je pousse un soupir, assis sur mon tabouret avant de sortir ma flasque pour boire une gorgée. La brûlure du whisky se répand dans mon œsophage, descend dans mes tripes et je ressens ces effets dans ma colonne jusqu'à la pointe des pieds.
J'adore ce goût, surtout depuis que je suis devenu un esprit avec une forte tolérance à l'alcool.
Des applaudissements retentissent et je tourne la tête vers la scène. Nous sommes dans une immense pièce aux colonnes gothiques sombres où s'entortillent des vignes et des ronces. Le plafond est impossible à déterminer étant occulté par des ténèbres éternelles. Quelques lampions éclairent les lieux ci-bas, mais le plus grand est dû à la nature de certaines créatures, dont les feu follets. Bref, mes cousins, car je dois mon immortalité à leur bénédiction. Un coup d'œil dans leur direction me montre qu'ils ne sont guère nombreux cette année, encore.
Je partage leur opinion : il n'y a rien de marrant à ces assemblées, mais le banquet qui suit est à volonté. Une bonne raison de rester et de se tenir minimalement informé de l'actualité.
Sauf que ce n'est pas eux que j'observe, mais plutôt notre maîtresse des lieux : Salem. Sa chevelure corbeau descend en boucles lâches dans son dos et ses mèches rebelles sont retenues par son chapeau. Cela lui dégage son visage aux traits doux et conviviaux. Elle a exceptionnellement mis du maquillage pour accentuer ses traits et ainsi être bien visibles pour tous, mais je suis certain qu'elle doit être un peu ridicule de près.
Mais bon, il le faut sinon on la croirait tous malade et on ne pourrait pas voir ses expressions faciales, et elle en fait des expressions.
Elle salue le public de son sourire à la fois charmeur et contagieux, son regard argenté se promène et il ne masque rien de sa joie d'être ici. Salem est notre 67e représentante d'assemblée et elle est très appréciée de la communauté. Elle a récemment été nominée, succédant au célèbre Dracula. Personnellement, je n'ai jamais apprécié cette tête de pique aux morales plus que douteuses et c'est la raison qui m'a poussé à voter pour cette jeune sorcière. Elle est derrière le mouvement féministe qui a permis de sortir les sorcières au rang de vilaines depuis quelques décennies, mais elle n'a pas perdu de vus les autres communautés. Elle a fortement travaillé pour aider les lycanthropes et les vampires à s'approvisionner en sang sans créer querelles ni guerres ; on pouvait la remercier d'avoir participé à la mise en place des dons de sang chez les humains. Il fallait le reconnaître, elle a réussi là où ses prédécesseurs des siècles derniers.
Elle est maintenant une figure historique et elle le vit bien.
Content pour elle, mais je m'emmerde toujours ci-bas.
Salem impose le silence d'un mouvement du bras et elle s'exclame à l'assemblée :
— Bienvenue à vous tous mes amis !
Des cris me cassent subitement les oreilles suivis de sifflements d'admiration. Je presse ma main pour soulager mes oreilles, mais comme si Salem connaît mon calvaire, elle ramène le silence d'un geste conciliant. Elle remercie le public pour son accueil chaleureux et tout le tralala que j'ignore royalement jusqu'à ce qu'elle entame sur un vrai sujet de discussion. Son visage perd un peu de sa jovialité et elle parcourt l'assemblée d'un regard impénétrable.
Là, je l'écoute attentivement.
— Vous savez que je me suis rendue à plusieurs reprises auprès de la famille Inferno avec à sa tête le Diable et sa femme Lilith. Des rumeurs circulent sur des sujets de disparition et je tiens à rassurer tout le monde sur la citrouille : elles sont infondées.
Des murmures se propagent à cette annonce, mais Salem garde son attitude rassurante. Moi qui ne m'intéresse à rien de notre communauté de Chtonie, j'ai eu vent de ces rumeurs. Cela aurait commencé par des fakenews chez les humains, mais on dit qu'un chtonien aurait rapporté un incident.
— MENTEUSE !
Une voix retentit brusquement partout autour de nous et elle souffle tous les lampions. Une atmosphère encore plus sombre nous entoure et chacun pose sa main sur l'une de ses armes, même moi. Ce rugissement m'a presque frémir de la tête aux pieds tant elle vibre de rage. Même Salem perd contenance face à ce déferlement de haine contre elle. Elle recule d'un pas, mais son regard sonde les lieux à la recherche comme de nous tous du propriétaire de cette opinion exprimée avec le cœur. La lumière perd encore à intensité et il ne reste que ma propre lanterne ainsi que les flammes des enfers des démons présents. Seule la mienne est d'une teinte orangée, presque de l'or liquide.
— Montre toi, exige la voix portante de Salem sans aucun tremolos.
Elle est courageuse, cette petite, mais sera-t-elle suffisante ? Ma main se resserre sur mon marteau alors que l'ambiance semble s'alourdir, et je ne suis pas le seul à le sentir. Le crissement sinistre contre le marbre se répercute partout autour de nous et une tête enflammée d'azur apparaît face à la scène. Tout le monde est saisi d'effroi ; personne ne l'a vu s'approcher, pas même moi.
Elle fait face à Salem qui parvient à maintenir une posture digne, le menton levé.
Des murmures se propagent et personne n'arrive à entendre ce qui se passe entre la créature et Salem, mais cette dernière jette une œillade dans ma direction. D'un coup, la boule de lumière suit et on se regarde. Un frémissement fait recouvrir ma peau d'une chair de poule alors que je réalise que la créature a des cornes comme celle d'un koudou, une antilope africaine. Ses cornes sont striées de veines lumineuses d'orangé et de bleuté, à ne rien comprendre, mais d'une beauté hypnotisante ; sauf que cette créature me fonce dessus.
Je me saisis de mon marteau et mon adversaire ne fait que s'approcher de plus en plus vite. Des cris retentissent, des gens s'écartent, mais je ne bouge pas d'un iota. Je suis prêt à encaisser le choc, à me défendre, mais elle disparaît telle une flamme soufflée à un pas de moi. Une immense fumée surgit de cette disparition et envahit l'espace de la salle. Ma propre lanterne éclaire de mille feux autour de moi pour compenser cette soudaine obscurité et ce que je vois me mets sur le qui-vive.
Un cercle s'est formé autour de moi et j'ai l'impression d'être la peste personnifiée. On me lance des regards suspicieux mêlés de crainte et une alarme résonne en moi. Pourquoi me regarde-t-on comme ça ?
Un petit rire résonne et une voix fluette demande :
— Un souci, veux-tu que j'éclaire ta lanterne ?
— C'est pas le moment, marmonné-je.
D'un mouvement du bras, je fais ricocher un carreaux ; merde, quelqu'un a vraiment essayé de m'attaquer ? Mon regard analyse les yeux à la recherche de l'impudent qui pense pouvoir m'abattre aussi facilement. Le bruit d'un second carreau se fait attendre et je le dévie à nouveau, mais un autre se cache dans l'ombre du premier. Il m'a effleuré, sectionnant le tissu de mon pantalon, dans la faille de mes cuirasses. Un picotement me saisit sur le haut de mon genou, vers l'extérieur et je sens un filament de sang couler le long de ma jambe.
°°°
Coucou !
Les emmerdes arrivent vite pour Jack, mais bon, je n'aime pas trop tourner autour du pot (surtout pour une histoire ^^')
J'ai profité par contre pour installer un peu le cadre de l'histoire, comment fonctionne le monde de Jack et des Chtoniens ; petite référence grecque pour ceux et celles qui ne savent pas 😉
Mais ce n'est pas la seule ! Il y en a deux Disney et deux éléments liés à l'histoire d'Haïti, mais les avez-vous remarqué ?
J'espère que vous avez bien aimé, on se voit demain pour la suite !
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Ô ! Lanterne, c'est pas le temps de me lâcher
RomanceRomance d'Halloween «ennemies to lovers», sombre, drôle et léger. Jack O'Lantern, celui qui a réussi l'exploit de fourvoyer pas une, pas deux, mais trois fois le Diable en personne. Un exploit connu depuis la nuit des temps qui l'a rendu célèbre mal...