29. Jack

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Je cherchais Andreia devant le bar sous la soudaine pluie battante lorsque j'ai vu le portail. Une peur irrationnelle m'a tordu les tripes ; Andreia n'aurait jamais utilisé son don ainsi aux yeux de tous même si l'averse doit la camoufler. Je ne sais pas pourquoi je pouvais l'affirmer avec autant d'aplomb, mais je le savais ; c'est pour ça que je me suis élancée dans cette direction.

Sous mes yeux, je l'ai vu dans un autre endroit, des marais et je la voyais s'enfoncer. Je connais que trop bien ces lieux, des marais engloutissants. Lorsqu'on marche sur la surface de ces zones, la pression exercée par un poids assez conséquent — comme celui d'Andreia à cet instant — peut faire remonter de l'eau dans les particules du sol, créant ainsi une suspension de particules de sol dans l'eau. Cela donne l'impression que le sol devient liquide pour vous piéger sous le tapis végétal. Celle-ci peut être dense et rendre la sortie encore plus difficile, parce qu'elle peut entraîner une personne à s'enfoncer si elle ne prend pas de précautions.

Et ma Sorcière n'a pris aucune précautions et je la vois s'enfoncer dans le sol au moment où son regard brumeux retrouve leur lucidité.

Je crie son nom, ma Lanterne prend la forme d'une brillante flamme pour m'éclairer, mais aussi pour aider Andreia à trouver la sortie. Si elle voit la lumière, j'ai une chance de la sortir de là. Je laisse mon egeiro m'entourer, celle-ci brise le sortilège de la Sorcière. Ça me rend mon apparence originale, mais aussi elle me permet d'accéder à nouveau à mes armes. Je saisis rapidement Apaloosa, mon poinçon qui prend une grandeur anormale, mais primordiale à cet instant. D'une taille qui rentrait parfaitement dans ma main, elle a maintenant l'apparence d'une javelot atypique. Elle transperce le sol et elle me sert d'ancre pour me stabiliser ainsi que m'empêcher de m'enfoncer à mon tour, mais ça ne suffira pas.

Je continue à crier le nom d'Andreia, j'utilise Mustang, une lime ensorcelée, et j'essaie de dégager le sol végétal. J'agite ma main dans le liquide, mais je ne touche que de la boue, de la végétation, puis je frôle un tissu.

— Putain, Andreia !

Jack ! s'écrie ma Lanterne d'une voix bien trop aiguë, même pour elle.

Je lève les yeux une seconde, mais je suis obligé de recommencer. Sous mon regard halluciné, je revois la créature du jour de l'assemblée. Je vois mieux son corps, elle a une forme animale, elle me rappelle vaguement celui d'un squelette, mais de feu. Sa tête n'est qu'une flamme, mais dont les yeux d'une noirceur presque effrayante contrastent avec ces cornes d'antilope africaines striés de couleurs luminescentes de bleus et d'oranges. Elle s'approche de moi alors qu'elle doit mesurer au moins trois mètres de haut, mais le sol sous elle ne tremble même pas.

Je déglutis et je dis la seule chose qui me vient :

— Will-o ?

Une lueur apparaît dans la noirceur de ses yeux, et va savoir pourquoi, j'y vois un bon signe. Toutefois, son regard se détourne de moi et elle penche sa tête, enfonçant une de ses cornes sous l'eau. Perplexe, je comprends une seconde trop tard et je me précipite vers elle. Lorsqu'elle redresse sa tête, un corps s'est trouvé accroché à sa corne et je reconnais Andreia, c'est elle. Je tends les bras pour la récupérer, inerte et frigorifiée ; une flambée de chaleur se fait sentir au point que je commence à avoir chaud, mais je m'en fiche. Ma Sorcière a les lèvres bleues, sa peau est froide ; respire-t-elle ?

Je cherche son pouls, je le trouve au moment où elle commence à tousser, sans doute la chaleur l'a-t-elle réveillée. Je dois sans doute tout faire de travers, mais je la redresse. Je frotte énergiquement ma paume dans son dos, je le blottis contre moi malgré qu'elle se débat mollement contre moi. Je resserre légèrement mon étau sur elle pour qu'elle ne me file pas entre les doigts et je la laisse tousser l'eau qu'elle a dû ingurgiter. Andreia reprend des forces à la manière dont elle enfonce ses ongles dans mes épaules, mais la voir bouger vaut bien ce désagrément.

Des cheveux me chatouillent le cou, mais ils ne sont plus clairs, ni fins et soyeux. Je ferme les yeux et je lui murmure que je suis là, qu'elle va bien. J'ai envie d'ouvrir les yeux, mais je ressens les sentiments de la sorcière. Elle est paniquée, elle se dépêche de rebâtir ses sortilèges et ses illusions, mais pourquoi ? Que peut-elle cacher de si horrible à ses yeux ?

Je l'ignore, mais je mets de côté ce que je ressens pour m'occuper d'elle. Là, elle a failli se faire noyer, elle s'est carrément fait manipuler pour finir ici, sa magie s'est retournée malgré elle contre elle.

D'une voix douce que je réserve habituellement qu'à ma Lanterne, je demande :

— Eh, tu te sens mieux ?

Elle hoche la tête, tremblante malgré la chaleur que nous fournit ma sœur Feu Follet. Elle s'agrippe toujours à moi et comme le connard que je suis, je ne peux m'empêcher d'apprécier cette proximité. Tout son être a envie d'être là où elle se trouve, je la sens par la manière dont elle s'est collée à moi, à la manière dont son corps moule le mien. Je plonge le nez dans son cou pour effleurer cette peau douce, elle en a la chair de poule, je sens même son pouls s'affoler et elle me repousse instantanément. Je la laisse imposer cette distance entre nous, un goût amer dans la bouche, mais je l'ignore.

Je n'ai pas envie de découvrir sa réaction, je préfère le néant à la réponse. Je préfère donc détourner mon regard d'elle pour voir où se trouve Will-O. Elle s'éloigne de nous avant de disparaître comme tout Feu Follet proche de chez eux, mais Will-O est différente. À l'assemblée aussi elle est parvenue à s'évanouir devant moi et ici, nous sommes à des lieues de la Cité. Je lève les yeux au ciel, et je suis surpris de voir notre soleil artificiel complètement à l'ouest, celle-ci ne peut pas bouger comme le Soleil le fait.

— Merde, mais où sommes-nous ?

— Je crois... connaître l'endroit.

Andreia analyse les environs, maintenant debout. Elle se frictionne la peau pour se réchauffer, ce qui m'inquiète un peu. Je tends la main pour effleurer ses doigts, elle s'y dérobe. Un pincement au cœur me saisit, mais je me contente de dire :

— Tu as froid, je peux te réchauffer.

— Pervers.

— Garce, répliqué-je d'une voix hargneuse.

Je me tourne vers ma Lanterne et celle-ci me tombe dans les bras. Je la réceptionne et je profite de cette caresse de feu qu'elle m'offre, elle apaise un peu mon ego malmené. Je vois dans sa lumière qu'elle est inquiète pour moi, mais je la rassure d'un pauvre sourire qui est loin d'être convaincant.

Je le sais. Mes sentiments, comme une braise, finiront par s'éteindre.

— Alors, Sorcière ? Que fait-on maintenant qu'on est ici ?

— On trouve Will-O. C'est bien elle qui vient de disparaître, non ?

Andreia indique la zone où la créature a bel et bien disparu, j'acquiesce donc. Je me redresse et je me mets en marche, les pieds aussi lourds que mon cœur. Pourquoi me suis-je inquiété pour elle ? Pourquoi l'avoir vu disparaître dans les marais m'a tant effrayé ?

Ses yeux. Un frisson me dévale la colonne alors que je me rappelle de son regard, vide. Elle s'enfonçait presque volontairement sous ce tapis de végétation, elle me regardait avec tant nonchalance que ça m'a fait flipper.

Je secoue la tête pour chasser ces idées. Je prends de chef le bras d'Andreia et je nous sors de la zone dangereuse. Elle se débat, mais je reste indifférent. Elle me somme de la lâcher, je n'en fais rien. Je dois lui faire des marques sur les bras, toutefois, je ne la relâche que lorsque nos pieds touchent un vrai sol solide. Là, mes doigts la libèrent et je me mure dans le silence.

J'ai besoin d'être seul, cependant je ne la laisserai pas être une seconde fois en danger. 

°°°

Alors les lecteurs, qui est toujours là ? 😂 

Ô ! Lanterne, c'est pas le temps de me lâcherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant