Sous Le Masque Tome 1

CHAPITRE 14

Victor

MUSIQUE : 
Pinocchio - Iniko

00 h 45, Nice, Hôpital Pasteur,

La sonnerie retentit et le répondeur se déclenche pour la énième fois. Il me gonfle à ne jamais répondre. Je râle tout en renfonçant mon portable dans ma poche arrière de jean.

— Tu dois vraiment arrêter de me harceler, Victor, s'agace-t-il une clope au bec en arrivant à ma hauteur.

— Quand je t'appelle dix fois, part du principe qu'il faut que tu répondes.

— Il ne l'a pas touchée. Elle est rentrée chez elle après avoir trainé sur la Promenade la quasi-totalité de la journée. Cette gamine est d'un ennui terrifiant, reprend-il blasé en expulsant la fumée de sa clope.

— Je sais que ce n'est pas elle.

— Alors pourquoi m'as-tu appelé ?

— Ton nom réapparaît.

Un grognement vibre contre ses cordes vocales, il écrase son mégot au sol et sort le gel hydroalcoolique qui ne le quitte jamais. Il frictionne ses mains, une fois, deux fois, à la troisième, je lui presse le bras. Il m'envoie un regard paniqué, je lui retire le produit des mains en douceur. Il souffle et se frotte frénétiquement la nuque. Mes lèvres se pincent, mes tripes se tordent, j'ai horreur de le voir dans cet état.

— Je sais que ce n'était pas toi. Ils savent que ce n'était pas toi.

— Elle est dans quel état ? Elude-t-il, froidement.

— Elle ne parlera pas. Ils viennent de la déclarer morte.

Il dégomme un caillou qui s'échoue quelques mètres plus loin. Ses doigts fourragent ses cheveux avec frénésie, sa cage thoracique se soulève à grande amplitude. Quand son cœur se tord, le mien suit le mouvement. La nausée le prend et je jurerais être celui qui s'apprête à vomir ses tripes sur le sol.

Créant des nuages de poussière sur le parking, il fait les cent pas avant de reprendre son air implacable et neutre. Ses yeux sondent les miens, les sourcils froncés.

— Sais-tu si la pute a parlé ?

— Non, elle n'a rien dit.

— On est sûrs que ça les protège au moins ?

— Pour l'instant, aucune des étudiantes n'était déjà marquée avant leurs agressions.

Ça ne nous certifie pas pour autant qu'elles sont en totale sécurité, toutefois, c'est la partie que je ne peux pas évoquer à voix haute. S'il y a un doute, il arrêtera et même si je donnerais n'importe quoi pour qu'il sorte enfin de cet enfer, on a besoin de lui. De cette partie-là de lui.

— Regarde le bon côté des choses, tu peux te lâcher et elles sont protégées.

— Génial, grogne-t-il en allumant une nouvelle clope.

Cet exutoire s'avère une torture, pour lui, pour moi, pour tous ceux qui savent ce qui se joue quand la porte se referme. Même si sa perversion est répugnante — principe même de la perversion — son utilité est réelle.

Le papier de sa clope crépite à mesure qu'il tire dessus comme un sauvage. Il expulse la fumée, s'adosse contre la portière de la voiture. Il fixe les portes d'entrée des urgences tandis que le silence nous entoure un instant.