CHAPITRE 51

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Elaïa

18 h 45, Cafétéria du domaine universitaire, le lendemain, Nice.

Apolline termine le nettoyage du sol, je replace les chaises contre les tables. Je ne devrais pas m'attarder sur ses états d'âme ni ses attitudes, pourtant je ne peux m'empêcher de constater qu'elle semble ailleurs voire triste. Son maquillage plus prononcé que d'ordinaire est sûrement le résultat de la colère illégitime de son géniteur. Il est facile de reconnaître une personne victime de violences domestiques quand on y a été nous-mêmes confrontés. Je ne dis rien, ce ne sont pas mes histoires et prétend ne rien voir. Non seulement elle ne mérite pas mon aide mais nos voix contre celles de son père n'auraient aucun poids. Comme d'ordinaire, les victimes sont souvent celles que l'on condamne. Je ne m'élève déjà pas pour mes propres maux, je ne prendrais pas le risque de me dresser pour ceux d'Apolline. Peu importe combien son géniteur mériterait de pourrir en enfer pour ce qu'il lui fait endurer.

Henri nous libère après nous avoir félicités pour notre travail. Dans un silence de mort, nous regagnons la faculté. Sans crier gare, ses doigts s'enroulent autour de mon bras, je me fige et la foudroie du regard. Je peine déjà à effacer les contacts de la veille, je refuse que ses mains poisseuses rajoutent des plaies invisibles à mon corps. Sa tête s'abaisse, elle soupire tandis que je reprends ma route.

—    Je suis désolée Elaïa, bafouille-t-elle dans mon dos, Romain n'aurait jamais dû agir ainsi.

—    Tout va bien, Apolline.

—    Arrête! Ordonne-t-elle, arrête de tout minimiser, tout le temps!

Je m'arrête, lâche un rire acide et me retourne. Ses yeux brillants de larmes, elle renifle, la culpabilité marque ses traits. Ne comptez pas sur moi pour la consoler, toutefois, je reste attentive aux prochains mots qu'elle peine à prononcer.

—    Ça a été beaucoup trop loin.

Cette fois, mon rire est plus franc mais tout aussi tranchant qu'une lame aiguisée. Je suis lasse de son hypocrisie permanente. Elle regrette parce qu'aujourd'hui elle a tout perdu. Elle ne se serait pas fait prendre, son harcèlement aurait perduré.

—    J'étais jalouse, murmure-t-elle. Jalouse parce que tu avais tout. Tout ce que je voulais.

Et voilà que mon rire explose de plus belle. Une semaine. Il lui a fallu une semaine pour devenir mon bourreau. En sept jours on ne jalouse pas quelqu'un dont on ne connaît ni l'histoire ni même le nom. Apolline est pourrie jusqu'à la moelle et cherche à justifier ses actions par des arguments totalement fallacieux. Si je pouvais les tolérer jusqu'alors, aujourd'hui ma patience a atteint sa limite. Je me détourne d'elle et reprends mon chemin. À trop rester à ses côtés, je risque de regretter tout autant mes paroles que mes gestes.

—    Je suis amoureuse de Camille, Elaïa. Depuis le lycée, je n'ai d'yeux que pour lui, avoue-t-elle réveillant une flamme corrosive dans ma poitrine.

Il vaudrait mieux pour elle qu'elle se taise, la suite ne va qu'alimenter les flammes d'essence et Apolline ne veut pas en subir les conséquences. C'est tout de même fou ! Je n'ai de cesse de prévenir les gens qu'il ne faut pas m'énerver et ils s'entêtent à me pousser à bout. Elle doit se taire ou je lui arrache la langue.

—    En une semaine, tu as conquis tous les cœurs. Roxanne s'est jetée sur toi, convaincue que vous seriez tout l'une pour l'autre. Quant à Camille, il ne t'a fallu que quelques secondes pour obtenir son intérêt. J'étais jalouse, tu l'avais pour toi. Tu avais Camille pour toi alors que je n'aspirais à l'avoir que pour moi.

Sous Le Masque Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant