Sous Le Masque Tome 1

CHAPITRE 45

Elaïa

Musique :
Hope – NF/Deja Vu You – Samantha Margret

8 h 15, Faculté de lettres, Nice

Ma moto garée sur le parking de l'université, je rejoins les marches principales. La clique d'Apolline m'offre des sourires carnassiers, lubriques et amusés. Ils se pensent intouchables et aussi difficile que cela le soit de l'admettre, je le crois tout autant. Mes yeux croisent furtivement ceux d'Apolline, qui, pour la première fois en quatre ans, laisse son masque se fissurer. Ses iris scintillent d'une tristesse inédite. Je détourne rapidement le regard et ouvre mon livre. Mon casque sur les oreilles, Hope, de NF pulse en boucle tandis que j'attends mon jugement. J'attaque la deuxième partie du livre Falling Again de Morgane Moncomble. J'ai souvent beaucoup de mal à apprécier les deux protagonistes, soit la fille est insupportable soit l'homme est particulièrement exécrable. Dans ce livre, j'aime Lila et Aaron. J'adore le caractère unique d'Aaron et la fragilité de Lila. L'image du grain de beauté d'Aaron me projette un tout autre visage. Cinq jours que son regard me hante, que son grain de beauté à lui m'empêche de réfléchir correctement. Comme s'il avait percé mes pensées, mes yeux se relèvent de mon chapitre dont je n'arrêterais pas de relire la même phrase et tombent dans les siens. Difficile à pleinement saisir sa silhouette d'aussi loin, pourtant, je le sens, je le sais, Simon est là.

« Catherine a été arrêtée, Tiffany est aux urgences. Elle a été retrouvée dans une usine désaffectée, Catherine accusée d'être la responsable de l'agression de sa fille. »

Elle a vécu chaque châtiment qu'elle m'avait fait subir cette nuit-là. Quand Arthur m'a informé de l'agression, ma première pensée a été dirigée vers Simon. J'ignore pourquoi, mais sans même avoir de preuves, je le sentais responsable de la punition infligée à Tiffany. Il sait. Là encore, je n'arrive pas à saisir comment a-t-il pu obtenir les détails de mon harcèlement mais pour moi, il n'y a aucun doute à avoir ; cette agression est l'œuvre de Simon. Depuis plus d'un mois, quoiqu'il se passe, il est là, derrière moi, comme une ombre. Si je la pensais destructrice et chaotique aux premiers abords, le doute germe au sein de mon esprit. Serait-elle protectrice et vengeresse ? Il était là, le jour où, sur l'esplanade, ils m'ont malmené. Il était là quand j'ai eu besoin d'un refuge après la course poursuite sur la Promenade. Il est là. Toujours. Même quand je voudrais qu'il s'écarte, qu'il disparaisse.

Ses yeux.

Je n'ai que des yeux, qu'une seule couleur si reconnaissable et pourtant, aujourd'hui, chacune de mes certitudes vole petit à petit en éclat. Parce qu'il est là, dans l'ombre et qu'il n'a jamais pleinement et volontairement cherché à me détruire. Mon cœur s'emballe quand après avoir envoyé son mégot au sol et enfoncé ses mains dans ses poches, ses yeux capturent d'autorité les miens.

Cinq jours. Cinq jours que sa présence me semblait si lointaine et comme un début de sevrage, j'étais en manque. Pas en manque de lui, pas comme on l'entendrait ordinairement. Non, j'avais besoin de ses yeux, de sa voix. J'avais besoin de comprendre et de nous pousser encore un peu plus au bord du précipice. Mes appels sont restés sans réponse, pourtant je l'ai senti au bas de mon immeuble plusieurs nuits de suite. J'ai toujours résisté à l'envie brûlante de l'affronter, pas par choix mais parce que je le savais, sans vraiment comprendre comment, mais j'en étais consciente ; à la seconde où il m'apercevrait, il fuirait. Des doigts tapotent mon casque, je sursaute et le retire.

— Mademoiselle Benson, le conseil est prêt à vous recevoir.

Je hoche la tête et m'attelle à ranger mes affaires. En haut des marches, je tente un dernier regard vers l'horizon, toutefois, je le sens. Simon s'est évaporé.