CHAPITRE 31

116 13 0
                                    

Elaïa

Musique : (en cours de réflexion)

18 h 30, Promenade des Anglais, Nice.

Après s'être assuré que la colère était redescendue, Arthur a rejoint Cam chez lui. Me sentant incapable d'évoquer le passé, mes deux meilleurs amis ont accepté de revenir sur le sujet plus tard. La nausée me prend à la simple idée de tout raconter. S'ils connaissent les raisons de mon adoption et de mon déménagement à Nice, j'ai toujours soigneusement évité les conversations autour de mon enfance chez les Ballant. La marâtre de Cendrillon devrait prendre des cours de méchanceté. À côté de Catherine, elle ressemblerait presque à un ange. Quant à Tiffany, Javotte et Anastasia n'ont clairement rien de cruel.

Des humiliations aux coups, j'ai tout enduré sans jamais me plaindre. C'est un peu comme l'expression qui dit : « c'est en forgeant que l'on devient forgeron. » Ça pour forger, elles forgeaient et c'était mon corps qui leur servait de métal pour parfaire leurs compétences. Je me souviens de cette nuit, où, trop éreinté par la journée que je venais de vivre, le sommeil m'avait emporté avec lui. Je le savais pourtant, ne jamais fermer les yeux avant Tiffany. Toutefois j'avais succombé. Une heure plus tard, je me suis réveillée, attaché au pilier de la pergola, les pieds nus dans l'humidité de l'hiver. Ma poitrine, mon entrejambe puis mon visage étaient tour à tour attaqués par un jet intense d'eau glacée. Je me souviens encore du son que produisaient les cordes vocales de Tiffany. Elle était hilare, moi, je bouillonnais. La colère s'immisçait lentement et attendait avec grande impatience de pouvoir enfin éclore. Cette nuit-là, Catherine avait terminé le travail en m'assenant quelques coups dans l'estomac. Elle s'attaquait rarement à mon visage. Il ne fallait surtout pas que cela se voie. Le mois d'après, Tiffany intentait à sa vie par ma faute. J'avais laissé la colère gagner et presque tué ma sœur d'adoption.

Je soupire et balance ma tête en arrière, m'avachissant sur le banc de la promenade. J'inspire profondément tandis que cette folle colère grimpe de nouveau pour atteindre sans difficulté le centre de ma cage thoracique.

Mes doigts se faufilent à l'intérieur de mon sac, j'attrape mon portable avant de me mordre la lèvre inférieure. Je sais ce que ma tête a envie de faire. C'est toujours la même rengaine quand on me pousse à bout qu'on me dégoupille comme une grenade. Je me retrouve avec seule solution pour m'apaiser : exploser. J'expire et retire ma main de mon sac. Elle ne gagnera pas, ce soir ni la colère ni Tiffany encore moins Apopute ne gagneront. Je n'exploserai pas, j'ai déjà assez fait de dégâts comme ça.

Je remonte mes talons contre l'assise du banc, enferme mes genoux entre mes mains et observe la nuit tomber doucement sur Nice. J'ai menti. Comme à quinze puis seize ans, comme à dix-sept puis dix-neuf ans. Comme à chaque fois que la police est impliquée. Je ne suis pas une menteuse, pourtant, quand je fais le compte, je mens pour tout, tout le temps et à tout le monde.

Je soupire devant cette évidence qui me tord l'estomac quand mon portable vibre. Mes lèvres s'incurvent lorsque mes yeux se posent sur le nom de l'appelant. J'attends la dernière vibration avant de décrocher. J'ai conscience que cette obsession me mènera à ma perte. Arthur a raison. Toutefois, Simon Davis ne demande qu'à être décortiqué, il porte un masque, je l'ai vu à la seconde où ses yeux ont croisé les miens. Je veux lui enlever et découvrir tout ce qui se cache en dessous. S'il semble évident qu'il est mauvais, Roxie a tort de dire que c'est le pire d'entre tous, après la journée qui vient de s'écouler, je pourrais assurément me proclamer Lucifer.

—    Combien de livres as-tu lus aujourd'hui? vibre sa voix grave.

Si sa question m'arrache un timide sourire, ma réponse m'attriste et fait disparaître presque aussi instantanément mon sourire.

Sous Le Masque Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant