Un jour, j'irai à New York avec toi (2/3)

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Porcelain - Moby

Son comportement m'a tellement perturbée que je n'ai pas conscience que le briefing est fini. Tandis que les autres se lèvent pour quitter la salle, je reste en retrait. Oli et moi sommes les derniers dans le couloir. Je me penche vers lui et parle à voix basse :

— Il a le melon, le copi !

— Oh, tu trouves ? Il a l'air plutôt drôle. Et il est... canon, ajoute-t-il en se mordant la lèvre.

À ce mot, l'hôtesse devant nous se retourne. Elle a un sourire de conspiratrice.

— Vous parlez d'Armand ? (Un peu honteux d'être pris en flagrant délit de commérage, on ne dit rien, ce qui est en soi une réponse.) Tout le monde en est dingue !

— Tout le monde ? s'étonne Oli. Genre, c'est la coqueluche ici ?

— Quoi ?! s'indigne notre collègue. (Elle attrape le bras de l'hôtesse à la tresse blonde qui marche à côté d'elle.) Karine, tu ne vas pas le croire ! Ils n'ont jamais entendu parler d'Armand !

Ladite Karine, jolie quadra, se marre.

— C'est parce qu'ils sont nouveaux, Sophie ! (Elle jette un regard par-dessus son épaule pour s'adresser à nous.) Il est hyper connu dans la compagnie et sur les réseaux, explique-t-elle. flyingarmand. Il a plus d'un million d'abonnés sur Insta et collabore avec pas mal de marques je crois. Et...

— Il a un gros appétit, complète Sophie en pouffant.

— J'imagine que tu ne parles pas de nourriture, en déduit Oli.

— Je ne parle absolument pas de nourriture.

Sophie achève sa réplique d'un regard grivois puis retourne à sa conversation avec Karine. Elles évoquent leurs enfants dont elles sont ravies de laisser la garde à leur conjoint :

— Peinarde pendant trois jours... Le rêve !

— Tu m'étonnes ! Pas de cuisine à faire, de lessives, de devoirs à surveiller...

— De couches à changer ! renchérit Sophie. Quand j'arrive à l'hôtel, je me prends un bain, direct ! Puis je me fais un soin du visage ! Tu sais depuis combien de temps je n'ai pas pu prendre soin de moi ?

— La dernière escale ? lancé-je sur un ton provocateur.

Amusée, Sophie me tire la langue comme une gosse, ce qui est très drôle à voir de la part d'une femme de son âge.

— Tu verras quand t'auras des mômes !

Et nous rions tous les quatre.

Très vite, nous arrivons au PIF : le poste inspection-filtrage. À l'instar des passagers, l'équipage et ses bagages sont soumis aux contrôles de sécurité - les fameux rayons X. Seule différence : les portiques que nous traversons se trouvent au siège d'Air Liberté, et non pas dans le Terminal. C'est un avantage qui nous fait gagner un temps considérable. Et le temps, c'est de l'argent !

Cette étape effectuée, il est déjà temps de monter dans le bus qui nous conduira à l'avion. Oli et moi nous asseyons tout à l'arrière, et la navette démarre aussitôt. Sentant ma petite valise glisser vers les portes, je la cale entre mes genoux.

— On a trop de chance ! s'émerveille Oli, trépignant presque sur son siège. On est sur le même vol, et en plus, on va bosser ensemble tout du long ! On pouvait pas rêver mieux.

— Non, c'est vrai, deux nouveaux livrés à eux-mêmes au fond de l'appareil, on ne pouvait pas espérer mieux, souligné-je avec ironie.

Oli me file une tape sur l'épaule puis me menace de son index :

— Oh commence pas ! (Ma remarque a fait mouche, car il rebondit malgré tout :) On sera pas seuls ! cherche-t-il à se convaincre. Les autres nous aideront, j'en suis sûr.

J'acquiesce, en espérant qu'il ait raison.

Autour de nous, les autres navigants sont sur leurs téléphones pour envoyer les derniers messages à leurs proches. Ils n'auront pas l'occasion de leur parler avant d'être arrivés à New York. Non loin, Karine et Sophie sont en facetime avec leurs enfants. Elles répètent presque mot pour mot la même chose  :

— Maman rentre dans deux dodos, chéri...

— ... t'embrasse très fort.

— ... moi aussi je t'aime gros comme un avion.

J'en profite alors moi aussi pour écrire à Hugo.

Suis en chemin pour l'avion! Je stresse un peu... : S Je t'appelle quand j'arrive l'hôtel. Je t'aime.

C'est la première fois que nous serons séparés. Et ça ne sera pas par une courte distance, mais par un océan tout entier ! À près de 6000 km l'un de l'autre...

Avec Hugo, on s'est rencontrés en première année de fac de droit. Un jour, je me suis assise à côté de lui sur les bancs de l'amphi. Le prof avait du retard, du coup, on a commencé à discuter. Il m'a tout de suite plu, même si on ne peut pas parler de coup de foudre. C'était un feeling. Entre nous, ça a toujours été simple : fluide. Quand le cours a finalement débuté, on a ri de l'inanité de la matière en question. L'Économie politique... Aucun de nous n'y comprenait rien ! Une chose en entrainant une autre, on est allés boire quelques bières. Et deux semaines plus tard, on s'est revu à une soirée organisée par le bde... Ah, la magie des fêtes estudiantines! On a entonné les lacs du Connemara à quatre heures du mat' dans une boite pas franchement recommandable... Et tadam! On était ensemble.

Contrairement à ma famille, il a tout de suite accepté mon choix d'abandonner la fac pour me consacrer à mon rêve de petite fille.

Mon téléphone vibre dans ma paume.

T'en fais pas, suis sûr que ça va bien se passer! Moi aussi, je t'aime. Et ramène-moi un truc de NY please!!! :)

Puis je l'éteins et le range dans mon sac à main.

Je jette un coup d'œil en direction d'Armand, en pleine conversation avec le commandant et Myriam. Il a vissé sa casquette sur sa tête. Quelques mèches brunes savamment décoiffées s'échappent sur son front. Ça lui donne un côté rétro qui rappelle l'âge d'or de l'aviation, un peu façon Léonardo Di Caprio dans « Arrête-moi si tu peux». Très Pan Am, à la française. Même dans l'attitude...

Je détourne la tête vers la vitre. La navette file à travers l'aéroport, longeant les immenses terminaux, dépassant les chariots à bagages et les bus de passagers. Après une intersection, le véhicule bifurque sur le tarmac en suivant les voies balisées afin d'éviter toute collision.

Et le voilà, enfin!

Sur le ciel morne de Roissy se détache la dérive de notre Boeing 777-300, peinte aux couleurs du drapeau national. Mon cœur palpite, comme s'il réalisait avant moi les aventures que je m'apprête à vivre...

Car oui, je suis au commencement de tout ce dont j'ai toujours rêvé. Et ce pour quoi j'ai tant sacrifié, aussi - mes études, notamment, et ma relation avec mes parents.

Je pourrais presque pleurer ; de joie et de peine mêlées.

Mais ce sera pour une autre fois. La navette s'immobilise, les portes s'ouvrent et tout le monde sort.

Ciel, Amour et TurbulencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant