Si maman si (2/2)

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Le coup de soleil - Foé

Le lundi qui suit, Mathilde et Arthur m'accompagnent sur les lieux du crime pour que j'y récupère mes affaires. Je choisis un horaire en journée, je tiens à tout prix à éviter de tomber sur Hugo. Ou pire, lui et Sibylle. Ensemble.

Quand je pousse la porte, cependant, l'appartement est figé dans un silence absolu. On entend que les faibles vibrations du réfrigérateur.

Pas âme qui vive. Tant mieux.

Aidée par ma sœur pendant qu'Arthur attend dans la voiture, je vide les placards comme un automate, sans jamais regarder en arrière où se trouve le lit. Y flotte encore l'image que je cherche tant à oublier. Chose qui n'arrivera jamais, soyons réalistes.

Concentrée sur ma tâche, mes pensées sont blanches, comme les pages d'un roman qui se serait arrêté brutalement, faute d'inspiration de l'auteur. Faute d'avenir pour le personnage, peut-être. Je remplis ainsi trois valises, de vêtements et de quelques babioles insignifiantes. Ma vie entière tient là-dedans, c'est désespérant.

Pathétique.

Mon existence se résume à si peu, si peu de choses... et déjà tant de désillusions.

En rassemblant les bagages dans le salon, mon regard bute sans le vouloir sur l'affiche encadrée au mur, juste au-dessus sur canapé. On y voit La Ciotat, ses rues pavées, son port ensoleillé et ses criques cristallines. On l'avait achetée en vacances, l'été dernier. Au milieu de nappes provençales et de sachets de lavande, une petite boutique du centre-ville en vendait de toutes sortes. Hugo préférait les plus réalistes tandis que j'avais un faible pour celles dessinées dans les tons pastel, qui donnaient davantage de peps d'après moi. Sous la grisaille parisienne, notre appartement avait bien besoin de couleurs.

« OK, je te fais confiance, mon amour. Choisis celle qui te plait. »

Jusqu'à aujourd'hui, j'adorais cette affiche.

Je peux à peine la regarder, à présent. Si je m'écoutais, je la déchirerais en mille morceaux jusqu'à en faire des confettis qu'Hugo mettrait ensuite des heures voire des jours à ramasser.

Comme lui a déchiré les promesses qu'il m'avait faites.

Au fond du cœur, j'ai une impression d'immense gâchis. De fin en eau de boudin. Comme un film d'auteur dont on ne comprend pas la finalité. Tout ça pour ça ? se dit-on, circonspects, en regardant le générique défiler à l'écran, impuissant face au choix du réalisateur. Je me sens tout aussi démunie. Malmenée par les délires d'un scénariste sadique.

Les poings serrés dans mes poches, je dévie le regard et me retourne, ne supportant plus la vue de cette illustration et des souvenirs qui s'y rattachent.

Ce côté n'est guère mieux, cependant. J'aperçois d'ici les polaroids fixés sur le frigo par d'innombrables magnets : des souvenirs de soirées, pour la plupart, de vacances, de rires et d'amitiés. D'amour.

Mais de mensonges, surtout.

Sur le bar de la cuisine traine la facture du garagiste pour les réparations de la Twingo. Sept cents euros. Ce montant devrait faire bondir mon anxiété, mais il me laisse de marbre, profondément indifférente.

Je dépose un chèque pour solde de tout compte, et c'est fini.

Terminé.

N'est-ce pas effrayant, quand on y pense ? Que la personne la plus importante à nos yeux redevienne aussi facilement un inconnu, un anonyme dont on n'aura plus jamais de nouvelles ? Et puis s'apercevoir surtout qu'on est capable de la rayer de notre vie d'un seul trait de plume, sans rature...

Ciel, Amour et TurbulencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant