Il est cinq heures, Paris s'éveille (1/3)

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Il est cinq heures, Paris s'éveille - Jacques Dutronc

15 Décembre.

— PNC, début de descente.

Le vol retour a filé si vite... C'est une bénédiction des dieux ! Il faut dire que le jet-stream nous a bien aidés ! Ce courant de haute altitude établi entre l'Amérique et l'Europe, nous a fait gagner presque trois quarts d'heure par rapport à l'aller. Si l'on ne peut évidemment pas parler de vol supersonique, on va dire que c'est toujours ça de pris !

À l'atterrissage à Roissy, un manteau de nuit enveloppe encore la ville. C'est le petit matin, et décembre oblige, on ne verra pas les premières lueurs du jour avant plusieurs heures... Les seules lumières que j'aperçois depuis mon strapontin sont celles des loupiotes qui émaillent le taxiway, et celles provenant du Terminal, vers lequel nous nous dirigeons lentement.

— PNC, dernier virage, entonne la voix d'Armand à travers le haut parleur.

Les toboggans désarmés, enfin les moteurs se coupent. Puis la consigne lumineuse des ceintures s'éteint à son tour. Aussitôt, les passagers bondissent de leurs sièges (certains n'avaient même pas attendu), pensant sortir plus vite alors que les portes ne sont même pas ouvertes. Ce joyeux petit monde s'en fiche, tellement heureux d'être à destination ! Ça se bouscule dans l'allée, ça s'étire et ça manque d'assommer son voisin en sortant les valises des coffres. Oli et moi restons sagement debout dans le galley arrière, à couvert de ce barnum.

Rêveuse, j'observe l'avion se vider petit à petit de ses voyageurs. Mon esprit vagabonde. Je pense à tous ces gens inconnus, ces vies anonymes, réunis dans un même vol ; chacun là pour des raisons différentes. Promenant mon regard sur eux, qui ne se doutent de rien, je me prends à leur inventer une vie.

Tiens, par exemple, ce jeune couple franco-américain en dernière rangée qui s'enlace tendrement : j'imagine qu'ils se sont rencontrés lorsque lui est venu poursuivre ses études (d'ingénieur ?) aux États-Unis, et qu'ils sont de retour en France pour les présentations officielles à la famille. La belle Américaine se tracasse parce qu'elle ne parle pas un mot de français. Voilà pourquoi il la serre si fort dans ses bras et lui chuchote des paroles rassurantes à l'oreille.

Mes yeux papillonnent, puis s'arrêtent ensuite sur cette vieille dame assise près du hublot. Je me souviens qu'elle voyage seule avec son chat – un adorable matou qui s'est tenu tranquille tout le vol dans son sac de voyage. Qu'est-ce qui l'amène ici en compagnie de son fidèle félin ? A-t-elle perdu son mari ? Ou peut-être n'en a-t-elle jamais eu ? Peut-être réalise-t-elle seulement un rêve qui lui est cher : accomplir un tour d'Europe, avec pour point de départ, la Ville Lumière.

Tous ces visages...

Nous avons fait partie de leur voyage, les avons amenés à bon port, et ne les reverrons probablement jamais. C'est étrange comme sensation. Je me demande combien de passagers on peut transporter dans toute une carrière. Sûrement des centaines de milliers... Ou plus encore ?

Y penser me donne le vertige...

Le dernier PAX débarqué (on a bien cru qu'il n'allait jamais se tirer celui-là), nous récupérons nos affaires, enfilons nos manteaux, gilets fluorescents, mettons nos badges puis descendons les marches humides de la passerelle. À côté de la rudesse de l'hiver américain, la température paraitrait presque douce ici, mais je frissonne à cause du manque de sommeil.

Nos valises nous attendent déjà au pied de l'avion. Je repère la mienne, couleur crème, sur le chariot. Elle est flambant neuve en comparaison de celles des anciens, éraflées dans les coins ou carrément cabossées par les milliers de kilomètres qu'elles ont parcourus – sans doute l'équivalent de plusieurs fois le tour de la Terre ! Mais je ne me fais pas d'illusion. Dans quelques mois, elle sera dans le même état.

Ciel, Amour et TurbulencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant