@consolingarmand (1/3)

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Jazz Lounge - Bequem, Spicytoast

« On n'éclate jamais de faim ou de froid. En revanche, on éclate de rire ou en sanglots. Il est des sentiments qui justifient qu'on vole en éclats. » Albert Espinoza Puig.

Cela fait plusieurs minutes – dizaines de minutes ? – que nous roulons. Pour ce que j'en sais... J'ai perdu toute notion du temps. Les rues grises défilent les unes après les autres dans un brouillard opaque. La météo capricieuse n'y est pour rien. Les seules responsables, ce sont mes pensées troubles qui me donnent l'impression d'avancer dans une purée de pois. Un vertige permanent.

— Tu veux bien me dire ce qu'il s'est passé ?

Je n'ai toujours pas prononcé un mot depuis qu'on est parti. Et maintenant, Armand doit juger que le délai de décence pour s'enquérir est écoulé.

— T'avais raison...

Je m'arrête juste à temps – sur le fil du rasoir – ravalant péniblement le sanglot qui menace de jaillir de ma bouche si je poursuis.

— C'est souvent le cas. Il va falloir que tu sois plus précise.

En comparaison de ma voix, anormalement aiguë et étranglée, la sienne est calme, posée ; exempte d'impatience ou de toute brusquerie. Au-delà du trait d'esprit, typique de sa personnalité – armandesque – il cherche sincèrement à appréhender la situation. À la comprendre et à l'analyser, en bon scientifique qu'il est.

En attendant que les mots fassent enfin surface, il demeure silencieux. Attentif à la circulation environnante – la pluie a tendance à rendre fous les Parisiens – il actionne le clignotant, vérifie les rétros, son angle mort et tourne à gauche après le feu.

— Hugo... (J'inspire et pourtant, l'oxygène ne paraît pas atteindre mes poumons.) Il a trouvé du presque-pareil.

Du mieux, même, ne puis-je m'empêcher de penser.

Ce constat, froid, clinique, posé de manière factuelle me terrasse. C'est comme une bombe à fragmentation qui me déchiquette de l'intérieur. Les éclats fichés au plus profond de ma chair lacèrent tous mes organes ; à commencer par mon cœur, exsangue.

J'explose alors sans prévenir. Telle une grenade dégoupillée. En pleurs.

Le pire c'est que je n'ai même pas honte d'apparaitre dans cet état – misérable – devant Armand. Car plus rien ne me semble avoir d'importance, désormais. Si ce n'est ce que j'ai perdu.

Hugo.

Trois années de ma vie, jetées aux orties.

L'amour.

M'a-t-il seulement aimée un jour ?

Une rivière de larmes dévale mes joues. J'enfouis mon visage dans mes mains pour tenter de dresser un barrage, bien dérisoire face au déluge. À côté, j'entends Armand pousser un long soupir.

— Je suis désolé.

Que dire de moi?

Je voudrais m'exprimer distinctement mais je n'arrive qu'à glapir :

— Tu n'y es pour rien.

— Je ne parle pas de qu'il a pu faire, rétorque-t-il avec une âpreté soudaine qui agit comme un électrochoc et me fait relever la tête.

Je m'essuie le visage avec ma manche.

— Je regrette ce que je t'ai dit dans ce café, à New York. C'était... idiot.

Son profil est tendu, sa mâchoire serrée et son regard sévère tandis qu'il surveille la route. Il a l'air de s'en vouloir.

Alors, pour le dédouaner de ses remords mal à propos, je souffle :

— Ben, tes prédictions se sont révélées exactes...

Objectant à cette affirmation, il secoue la tête.

Han ! Han ! Sûrement pas. (Il me regarde brièvement avant de se détourner.) Je doute qu'il ait pu trouver qui que ce soit approchant un centième de ta valeur, Laurine. Il va s'en mordre les doigts !

Ma valeur, ouais... Tu parles !

Qu'en sait-il, lui, de ma valeur ?

Je renifle, amère.

— Les mecs sont des cons !

Des paroles assénées d'un ton péremptoire, comme si elles avaient force de loi. Un jugement à l'emporte-pièce et une généralisation grotesque, parce que j'ai parlé sans réfléchir, sous le coup de la colère et du ressentiment qui me fendent la poitrine. Mais quoi qu'il en pense réellement, Armand n'en disconvient pas.

— Oui, c'est vrai. Les mecs sont des cons.

Le silence tombe à nouveau sur nous. 

Il n'a rien de bizarre ou de gênant, il est serein, en fait. Empreint de respect et de compréhension mutuelle. Lui, pour ma douleur ; et moi pour sa patience.

Tout a été dit. L'un comme l'autre, on ne voit pas ce qu'il y aurait de plus à ajouter. La situation est ce qu'elle est, aussi merdique soit-elle. On a fait le tour du sujet. Du désastre et du champ de ruines que devient ma vie.

Au bout d'un moment, l'Audi ralentit.

Nous nous trouvons devant l'entrée d'un immeuble cossu en pierre de taille et je réalise que je ne me suis pas demandé une seule fois où nous allions. Pour moi, la voiture roulait sans but, sans destination, sans fin...

Quand je disais que je nageais dans le brouillard, j'aurais dû dire dans la débilité la plus profonde – un abime de bêtise.

Après qu'il ait appuyé sur le bip, le portail électrique s'entrouvre. Le véhicule pénètre l'enceinte d'une cour privée cernée de platanes et va se garer au fond, sur les graviers. Armand coupe rapidement le contact, quittant ensuite l'habitacle. Moi, je ne bouge pas.

Sa tête réapparait alors à l'intérieur pour me demander avec prudence :

— Tu viens ?

Je perçois dans l'hésitation de sa voix et le froncement de ses sourcils qu'il appréhende ma réponse. Un refus est toujours possible.

En aurais-je l'audace, cependant ? Alors qu'il vient de se porter à mon secours ?

Il se penche davantage, m'interrogeant du regard et je m'en veux de me retrouver dans cette position inconfortable. Bien sûr, rester à l'appartement en compagnie d'Hugo était impossible, mais monter dans la voiture d'Armand n'était pas non plus l'idée du siècle. Car maintenant, j'ai atterri chez lui.

Littéralement dans la gueule du loup...

NDA :

Alors ira ou ira pas ? xD

Un chapitre un peu plus court que d'habitude, mais c'était le mieux à faire en terme de découpage. ^^ Le prochain sera plus long.

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