Si maman si (1/2)

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Zéro - Johnny Jane

13 mars.

Après un petit-déjeuner express qui s'est résumé pour moi à un café, bien serré, et au cours duquel aucun de nous n'a fait mention des événements de la veille – Dieu merci – je suis prête au départ.

Je me tiens avec rigidité dans l'entrée ; même ma valise en plastoc paraît souple et détendue à côté de moi.

Ce manège embarrassant se prolonge depuis un moment déjà, et plus je m'éternise, plus j'ai du mal à trouver l'élan nécessaire, l'impulsion qui me fera prendre la porte. Je m'embourbe dans des sables mouvants.

— Tu n'es pas obligée de partir, tu sais.

Mes insécurité ressurgissent brutalement.

Croit-il là que je cherche à m'incruster chez lui ? 

Pire : que j'attendais impatiemment qu'il me demande de rester ?

On pourrait...

Il ne faut surtout pas qu'il imagine cela.

— Emménager ensemble ? proposé-je alors, usant de sarcasme pour camoufler mon malaise.

À entendre ma voix, cependant, ça passerait presque pour de l'espoir, j'en ai peur.

— J'allais dire aller se balader le long des quais, si la météo nous le permet, reprend-il en observant par la baie vitrée le timide rayon de soleil qui brave les nuages. Ou bruncher, j'en connais un très bon à deux rues d'ici.

— Oh.

— Il aurait été mieux de réserver, c'est sûr. Pour avoir une table bien placée.

Il y a un bref silence, puis :

— Cela dit, Silver t'a déjà adoptée, fait-il valoir en montrant le félin qui ronronne à nos pieds, comme si l'idée que je venais d'émettre n'était pas si ridicule en fin de compte.

Mais elle l'est. Indubitablement.

Rouge de honte, je m'agenouille auprès du ragdoll et lui administre une caresse qu'il accueille d'un miaulement de plaisir. Je n'ose me relever que lorsque mes joues et mes oreilles ont retrouvé leur température habituelle. J'affirme alors, gonflée d'une certitude que je ne ressens pas vraiment :

— J'ai déjà squatté plus longtemps que je n'aurais dû.

Armand encaisse d'un mouvement ferme du menton.

Il doit prendre cela pour un message – une fin de non-recevoir concernant le baiser que nous avons échangé – car il n'insiste pas, même s'il semble déçu (et peiné ?)  par ma décision.

— Je te commande un Uber.

— Je peux très bien m'en charger...

— Trop tard, je suis déjà sur l'appli, balaye-t-il, son smartphone en main.

N'ayant pas envie de batailler pour si peu, j'abdique. Je lui communique l'adresse, et dix minutes après, mon carrosse est avancé.

Minuit n'a même pas encore sonné.

Le voilà pourtant redevenu citrouille, et moi... je suis juste moi.

Je ne n'ai jamais rien eu d'une princesse de toute façon.

Je fais donc mes adieux à Silver, à Armand et au loft, comme à une parenthèse douillette, un abri dans la tempête – un aperçu d'une autre vie.

La vie d'une autre.

Ciel, Amour et TurbulencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant