Chapitre 3

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Je suis tellement pressée de fermer le bar aujourd'hui que le temps passe a une lenteur extrême. La chose a cocher sur la liste aujourd'hui : décorer le sapin de Noël. J'ai tellement hâte, ça fait partie de mon top cinq de mes activités préférées. Selon moi, quand le sapin est décoré, que toutes les décorations sont installées, ça veut officiellement dire que la saison des fêtes est ouverte. Cette année, elle arrive tard, d'habitude, on le fait un peu avant que le mois de décembre ne commence. Mais Jack et moi avons eu des emplois du temps beaucoup trop chargé ces derniers temps. Mais ce n'est pas grave, il vaut mieux tard que jamais comme on dit.
Même si le sapin est dégarni en plus d'être un minimoys – je ne vois pas ce qu'il a trouvé de beau en lui – je suis sûre qu'on va bien s'amuser à le remplir de boules et de guirlandes. Sans compter le reste de la maison qui prend une allure totalement différente pendant toute cette période.
Dès que l'heure est arrivée, je m'empresse de fermer la boutique et de récupérer les plats que j'ai préparés pour Jack. Depuis quelques années maintenant, il a pris l'habitude de faire les courses et je lui prépare ses plats. C'est moi qui lui ai demandé s'il voulait à cause de cette journée où j'ai été horrifiée de voir ce qu'il mangeait. Je suis allée chez lui un jour pour parler boutique, c'était au tout début, et même si je ne doute pas du fait que ce plat soit bon, je ne suis pas sûr que ce soit bien de manger de la purée au ketchup et au jambon tous les jours. Il s'est défendu en disant que quand sa femme est partie, il n'a pas su comment remonter la pente. C'est elle qui passait des heures à cuisiner. Elle adorait ça, avec son fils derrière le plan de travail. Et elle interdisait l'entrée à son mari. De ce fait, quand elle s'est envolée, il n'a pas eu la force d'apprendre à cuisiner de vrais plats tout seul.
J'aime cuisiner, pâtisser encore plus, mais je ne rate jamais un bon plat, alors ce jour-là, je me suis proposé, parce que cet homme que la vie a en partie détruit ne méritait pas ça.
Je marche jusque chez Jack, bien couverte de la tête au bien, les températures descendent un peu plus tous les jours sans compter la neige qui est de plus en plus épaisse. J'aime tellement son craquement sous mes pas que je pourrais rester dehors pendant des heures. Mais j'ai un sapin à décorer alors je me dépêche.
Arrivée devant la petite maison coquette avec des poutres apparentes, je monte les petites marches et toque à la porte pour signaler ma présence, mais rentre sans attendre. Je suis une habituée ici, c'est comme ma deuxième maison.
- Salut Jack, je t'amène tes plats de la semaine, je dis en rentrant dans la cuisine.
Mais j'y vois seulement Gabin, adossé au plan de travail avec un énième café à la main.
- Tu n'es pas Jack, je lance, très perspicace.
- Effectivement. C'est quoi ces plats ? Me demande-t-il s'en vraiment être intéressé, la tête baissée sur son téléphone.
- Je cuisine des plats pour ton père, pour qu'il mange plus sainement.
- Sérieusement ?
- Oui, je réponds en les rangeant dans le réfrigérateur.
Il ne cherche pas à en savoir plus, ces sujets ne doivent pas vraiment l'intéresser, il a bien passé cinq années loin de son père, je ne vois pas comment trois plats peuvent le faire redescendre sur terre.
- Il est où ? Je demande, pour pouvoir sortir de cette pièce le plus rapidement possible.
- Dans le grenier, me répond-il sans prendre le temps de faire une vraie phrase.
Je quitte la pièce et me dirige vers Jack en me disant que le père est bien plus aimable que le fils, en même temps, ce n'est pas très difficile en voyant la crème qu'est Jack et la boule de nerf qu'est Gabin.
J'aide Jack à sortir les derniers cartons du grenier puis nous les ramenons dans le salon, sans que Gabin ne lève le petit doigt.
La partie sérieuse commence. Une vision d'horreur me revient quand je vois à quoi ressemble le sapin, il avait meilleure tête dans mes souvenirs. Un peu plus fourni, un peu plus grand, mais non ce n'est vraiment, vraiment pas le sapin que j'imaginais cette année. Bref, je me ressaisis, en me disant qu'on pourra sûrement en tirer quelque chose de bien.
Enfin, j'espère.
- Première étape, on tri les décos. Ça dépend du thème, des couleurs et des objets, j'explique à Gabin en énumérant la liste sur mes doigts, car Jack connaît déjà la chanson par cœur.
- J'ai mieux à faire que ça, m'arrête son fils.
- Gabin, prévient le père. Tu peux passer un peu de temps avec ton père, s'il te plaît, ça me ferai plaisir.
Il marmonne quelque chose que je ne comprends pas et se met au travail. Jack me fait de la peine, je ne sais pas ce qui a bien pu se passer hormis leur perte tragique, mais je comprends rapidement qu'il y pas mal de tension entre le père et le fils. Cependant, ce n'est pas de l'animosité, plutôt des non-dits qui bouffe le bon temps avec sa présence imposante.
Pendant qu'ils finissent de trier, je m'empare des CD favoris de Jack, c'est-à-dire, les chants de Noël, je sors le premier disque de son boîtier et l'insert dans le lecteur. Jack et moi commençons à chanter tandis que Gabin nous regarde comme si nous étions des extra-terrestres à nous extasier sur de telles musiques. De mon point de vue, je ne vois rien de plus agréable que les musiques de Noël.
- Bon, les jeunes, j'ai encore du boulot, je vous laisse continuer tous les deux, nous prévient Jack quelque temps plus tard.
- Moi aussi, j'ai du boulot, renchérie Gabin, pour se sortir de sa situation.
- Non, toi, tu restes, c'est pour toi cette liste, je ne pense que Madi fasse tout ce travail de gaieté de cœur.
- Je n'ai rien demandé, je n'en veux pas de cette liste.
- Non, tu restes, fiston, c'est pour ton bien, je suis ton père et tu es sous mon toit, tu m'obéis, s'il te plaît.
Il obéit, parce qu'il sait qu'aller à l'encontre de l'avis de son père ne l'aidera pas à faire ce pour quoi il est venu jusqu'ici. Je ne me sens pas vraiment à l'aise de lui imposer tout ça, puis je ma rappelle des mots que Jack m'a glissé dans le grenier. « Merci de l'aider comme tu le fais, je ne savais pas comment m'en sortir ». Alors je pense à ça, et je reste focalisée sur ces mots sans penser au fait que ça puisse contrarier Gabin. Parce qu'au fond, on voit que c'est un homme malheureux renfermé sur lui-même.
- Comment tu as connu mon père ? Me demande-t-il au bout d'un moment.
Je dépose une boule dans le sapin tout en réfléchissant à ma réponse.
- J'ai toujours vécu ici. Et un jour, un nouvel habitant est arrivé, c'est assez rare pour que tout le monde l'ait remarqué. Et puis il n'est pas seulement arrivé, son restaurant est venu avec lui. J'étais une jeune pâtissière que personne ne prenait au sérieux, toujours à faire la plonge ou les tâches ingrates dans le genre. Alors je suis allée voir ton père et dès qu'il a vu mon travail, il m'a embauchée.
- C'est bien son genre. C'est sympa... ce que tu fais.
- Merci, même si c'est inutile, je réponds en reprenant la pique qu'il m'a envoyée hier
- Tu as tout compris.
Un léger sourire se ferme sur ses lèvres et je ne sais pas si je dois aller plus loin ou si nous devons nous replonger dans le silence. Au final il se rapproche plus de Jack que je ne le pensais, il n'a juste pas envie d'être emmerdé, et la montagne ne doit pas être son truc.
Finalement, nous terminons le sapin, et même s'il est moche, il a quand même son charme. Non, en fait, il est vraiment moche. Souvent, on dit qu'il faut voir le positif dans le négatif, mais cette fois-ci il n'y vraiment pas de positifs.
Une fois dans la cuisine, je nous prépare trois chocolats chauds à la cannelle.
- Je veux un café, je n'aime pas ton truc.
- Pourrais-tu, s'il te plaît me préparer un café, car il se trouve que je n'aime pas cette boisson parfaite que tu viens pourtant de préparer ?
- Ça ne sert à rein que je fasse des phrases longues, tu les fais pour moi, répond-t-il lassé par mon manque de coopération.
- Goûte ça avant de prendre ton café, c'est succulent.
- Je n'aime pas.
- Tu n'y as jamais goûté, et on ne dit pas qu'on n'aime pas sans avoir goûté.
- Ça fait trop Noël, continue-t-il sur sa lancée en montrant les tasses à l'effigie des fêtes dans un mouvements de mains abstrait.
- C'est le but, maintenant, il faut goûter. C'est pour se mettre dans l'ambiance.
Il saisit sa tasse en admettant enfin qu'il a perdu le combat et il trempe a peine les lèvres. Après un petit moment pour savoir si c'est à son goût, il prend une autre gorgée, une vraie cette fois-ci.
- C'est dur à dire, mais c'est bon.
- Merci, ça me fait plaisir qui tu aimes enfin quelque chose qui a un rapport avec Noël. C'est une petite victoire pour moi, je dis en souriant.
Quant à lui, ses lèvres s'étirent très l'égerment dans une ébauche de sourire et j'ai l'impression d'avoir décroché une étoile.

La liste d'un noël (presque) parfaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant