Chapitre 8

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Il est si tôt que le soleil ne s'est pas encore levé. Cela dit ce dernier est traînard depuis quelques semaines. Je sais que Gabin va être surpris quand je vais arriver, il ne s'attend sûrement pas à me voir là. Mais après les risques qu'il m'a fait endurer hier dans la montagne, c'est à mon tour de lui en faire prendre. Normalement, c'est censé être une promenade de santé, j'ai même revérifié le trajet ce matin.
- Qu'est-ce que tu fais ici, Madi, c'est ton jour de repos, tu devrais te reposer, lance Jack quand il me voit arriver dans sa cuisine.
Je secoue la tête en signe de désapprobation.
- J'aurais le temps de me reposer après Noël. Pour le moment, j'ai une collection à cuisiner et votre fils à rendre fan de Noël. Ce sont de lourdes tâches et j'ai tendance à dire que pendant ces moments-là le sommeil n'est plus une chose vitale.
- C'est vrai, ce sont deux travail à temps plein tout ça. Je sais que je te l'ai déjà dit, mais je tiens à le refaire parce que plus les jours passent et plus j'ai l'impression de retrouver mon fils et je sens que ça n'est pas terminé. C'est gentil, Madi, de faire ça pour lui. Lui offrir l'occasion de revivre après ce qui est arrivé. Je sais qu'il s'est enfermé dans sa bulle, ça s'est vu directement. Et j'ai l'impression qu'il en sort petit à petit, déjà, il accepte que je lui parle alors qu'il n'a pas encore pris son café. C'est un grand début.
- Ça me fait plaisir, Jack, c'est normal, d'aider ceux qui ont besoin de l'être.
- Tu es un ange, jeune fille. Parle-moi de ce que tu as prévu pour aujourd'hui. Ça m'intéresse.
Je me redresse, ma tasse dans la main et énonce avec fierté le programme du jour.
- Randonné dans la montagne et avec un peu de chance on aura le temps de voir les reines et les chevaux !
- C'est comme ce que tu as fait l'année dernière avec tout ce groupe de randonneur.
- Toute à fait, mais cette fois-ci, il n'y aura que Gabin et moi, je me suis dit qu'il ne serait pas à l'aise avec une trentaine de personnes derrière lui. Et c'est un nouveau chemin. J'ai cru comprendre que votre fils était un grand sportif alors j'ai décidé de corser les choses.
- C'est bien, tout ça, j'ai hâte pour vous. Faire ces choses me manque, mais ma patte folle ne suivrai pas votre rythme.
- On vous enverra plein de photo, ne vous inquiétez pas. Gabin est levé ? Il ne faut pas qu'on tarde à partir si on ne veut pas se faire surprendre par la nuit.
- Il doit encore être en train de dormir, il a toujours fait ça, une fois, il s'est réveillé à treize heures. Mais si vraiment vous allez être en retard sur le programme, tu peux toujours aller le réveiller, il dort trop de toute façon, le médecin a dit que c'était mauvais pour lui.
- Ok, je m'en charge.
Je trottine dans les marches, trop excitée à l'idée de marcher dans la neige pendant une journée entière. Je suis sur le point de frapper à sa porte quand celle-ci s'ouvre sur un torse-nu sculpté et un pantalon de pyjama bleu.
- J'arrive dans trois minutes, lutin impatient, lance Gabin d'une voix encore endormi qui me donne un léger frisson dans tout le corps.
Je reste là, le point levé tandis qu'il referme la porte. Ses cheveux en pétard et ce simple pantalon m'ont laissé sans voix.

***

Équipés de notre matériel de randonnée, nous sommes prêts à affronter la longue et dangereuse route qui nous attend. Honnêtement, il n'y a rien de dangereux dans ce que nous allons faire, ça va seulement long, très, très long. Mais jolie et c'est ce qui compte.
- Prêt ?
- Est-ce que j'ai le choix ?
- Non, aller, on y va, je lance d'un ton enjoué.
En réalité, il n'a pas protesté une seule fois quand je lui ai annoncé le programme dans la cuisine il y a quelques minutes. Soit il prend de plus en plus de plaisir, soit il avait enfin de faire une randonnée (ce que je soupçonne grandement d'être vrai), soit il en a marre de protesté dans le vide parce que je gagne tout le temps. À vrai dire, cette dernière option est envisageable aussi.
La première heure se passe sans encombre. Entourée du silence calme de la matinée, si ce ne sont quelques oiseaux. Le même schéma se répète pour la deuxième heure de marche même si elle se fait sentir un peu plus dure. Aucun de nous deux ne souhaite parler, appréciant le calme que la montagne nous offre. En plus de cela, je sais que si nous commençons à parler, on rentrerait trop dans les confidences. Même si parfois, on ne se supporte pas trop, c'est agréable de parler à des personnes différentes, qui n'ont pas vécu la même chose. Et Gabin sait ne pas pousser le bouchon trop loin. Mais je ne sais pas si je suis prête à me confier à un presque inconnu. On ne se connaît que depuis 8 jours même si j'ai l'impression de le connaître depuis 3 ans tellement son père m'a parler de lui.
Je propose une petite pause pour boire et reposer nos jambes. Mon ventre cri déjà peu famine, mais ce n'est pas encore l'heure et nous n'avons pas un stock limité d'aliments. Je m'assois sur une pierre remplie de neige pour reposer mes jambes qui acceptent cet acte volontiers, tandis que Gabin s'étire de tous les côtés.
- On arrive au bout de ton sentier dans combien de temps ?
- Je ne sais pas trop, il faut suivre les ronds blancs gravés sur les arbres, on verra bien quand on y serra.
- Tu ne prépares vraiment rien à l'avance.
- Non, je me renseigne sur le strict minimum et on improvise quand on y est.
- Tu es vraiment suicidaire.
- Tu vas me le répéter combien de fois ?
- Le temps qu'il le vaudra pour que tu l'assimiles.
- En attendant, toi du fait du snowboard sur les pistes noires alors tu n'es pas le mieux placé pour me juger.
Il n'a rien à répondre à ça si ce n'est :
- Allez, on se remet en route si on ne veut pas être en retard.
Et c'est parti pour une troisième heure dans le même silence qui n'est pourtant pas pesant. Je monte la marche, en laissant mon regard se balader sur chaque arbre, chaque oiseau, chaque pierre et élément de la nature qui ressort sous toute cette neige.
Mes doigts on froid, je ne serais pas contre un bon chocolat chaud pour les réchauffer, mais je ne suis pas sûr que des sapins enneigés en ai à leurs cartes, alors je prends sur moi.
- On mange ?
- Volontiers.
On trouve une grande pierre qu'on déshabille de neige et se pose dessus. Manger les sandwiches que j'ai préparés ce matin me procure un bien immense. La marche ça creuse et pas qu'un peu. C'est la première fois de l'année que je prends le temps de refaire une randonnée, et je ne pensais pas que le niveau serait si dur. Mais ça n'a pas l'air dérangé Gabin qui le vit plutôt bien alors que j'ai l'impression de ressembler à un légume.
Je finis par sortir les brioches à la cannelle que j'ai préparé spécialement pour l'occasion et en tend une à Gabin.
- En fait, tu mets de la cannelle partout, c'est ça ?
- C'est l'épice de Noël, rien ne se fait à cette période sans cannelle, c'est la base.
- Je souhaite bon courage à ceux qui n'aime pas.
- Qui peut ne pas aimer la cannelle, c'est inconcevable selon moi. Comme ceux qui trouvent Noël trop « commercial »
- Je me sens très légèrement visé.
- Oh, mais tu l'es totalement.
- Sérieusement, je commence à comprendre ou tu veux en venir quand tu dis que c'est une fête qui relie les gens. Mais ça reste commercial.
- C'est un bon début, j'ai encore 16 jours pour te sortir cette idée de la tête, je dis en le bousculant.

- N'en sois pas si sûr.

On se remet en route, mais la neige recommence à tomber, c'est une bonne chose, nous avons été épargnés ce matin, mais elle n'a plus aucune pitié, ça va nous compliquer durement la tache. Dans un premier temps pour avancer, plus le temps passe plus la couche de neige est épaisse et plus on s'enfonce. Et dans un deuxième temps on ne voit presque plus rien tellement elle recouvre tout et masque nos visions.
- Tu vois des balises blanches, je demande à Gabin, ça fait un moment que je n'ai rien vu, je m'inquiète.
- Comment ça, ça fait un moment ? Je te faisais confiance moi, je te suivais.
- Quoi ?! Mais il faut toujours regarder à deux quand on fait une randonné, surtout avec ce temps là.
- Tu es en train de me dire qu'on est perdu là, c'est ça ?
- Non... si... je sais pas, je vois plus rien. Ça ressemble aux endroits où nous sommes passés tout à l'heure, je comprends rien. Et le soleil est en train de se coucher. On est mal.
- Non, ça va le faire, Madison. Pourquoi t'as choisi des balises blanches alors qu'il neige bordel.
- Me dit pas que ça va bien pour m'engueuler deux secondes plus tard, toi aussi. Ce n'est pas que de ma faute.
- Ce n'était pas mon idée de venir ici.
- C'était pour te dérider. Tu restes toujours, monsieur, je-fais-la-gueule-au-monde-entier.
- Essaye de regarder si tu as du réseau ça sert à rien de s'engueuler, on ne sera jamais d'accord de toute façon.
- Non, parce que c'est moi qui ai raison, je dis en sortant de mon téléphone.
- Je n'ai rien.
- Moi non plus.
- Putain.
- Laisse-moi me concentrer.
Je baisse la tête, essayant de faire abstraction de ce qui se passe autour de moi et de visualiser le site internet.
- Qu'est-ce que tu fais sérieux, ce n'est pas en faisant une incantation qu'on va sortir de là.
- Ferme la.
Il abandonne et marche à quelques pas de moi. Je visualise les mots que j'ai vus ce matin en regardant le site. Auberge. Chalet. Cheminée. Il ne m'en faut pas plus pour dire:
- C'est bon, je sais !
- Sérieux, tu sais par où passer.
- Non, je ne suis pas un génie non plus.
- Ah, c'est vrai.
- Premièrement, je ne te permets pas et deuxièmement, il y a une auberge, il faut se diriger vers le nord, atteindre la sortie de la forêt. On pourra y passer la nuit et attendre que le temps se calme.
- Si tu es sure de toi.
- Oui. Mais c'est où le nord.
- Suis moi.
À peine trente minutes plus tard on aperçoit les chalets dispersés un peu partout dans la forêt. Des plus petits selon l'espace entre les arbres puis plein très espacés les un des autre à la sortie de la forêt, juste au pied de la montagne qui nous surplombe. La peur des avalanches me reprend quand je me dis que je dormirais la dedans ce soir.
On trouve rapidement la réception et nous nous réfugions dedans. Plus de huit heures sans endroit chaud, c'est un vrai bonheur de ne plus voir tout ce blanc.
- Bonjour, que puis-je faire pour vous nous accueil une femme âgée.
- On cherche un endroit pour dormir cette nuit, on a été surpris par la neige et on ne retrouvés pas notre chemin.
- On vient du village à coté, j'ajoute.
- Oh, des habitués alors.
- Moi, pas lui, il est vacances ici.
- J'ai la chambre Tourtereaux pour vous si elle vous convient.
- On n'est pas ensemble, je réponds rapidement. C'est seulement mon ami.
- Oh très bien. Alors j'ai un chalet avec deux chambres si ça vous convient mieux.
- C'est parfait. Pourquoi tu fais cette tête ? Je demande à Gabin en suivant la concierge.
- Je suis fatigué, c'est tout.
J'abandonne et affronte à nouveau le froid.
Le chalet est un endroit très coqué.
Les chambres ne sont pas très spacieuses, mais pour ce que nous avons à y faire, c'est largement suffisant. Et le grand plus qui change tout. La cheminée. Je passe mon temps devant celle-ci pendant que Gabin prend sa douche puis nous échangeons les rôles quand il libère la place.
La nuit est bien avancée, et si nous voulons rentrer tôt, il serait temps d'aller nous coucher. Je prends le soin d'envoyer un message à Jack pour ne pas qu'il s'inquiète de notre et laisse le sommeil m'emporter.


Mais ce dernier ne vient pas même après m'être tournée, retournée et retournée une dernière fois. Les bruits qui viennent de dehors ne me rassurent pas, je ne sais pas ce que c'est, mais ils sont sans appels, il ne vaut mieux pas les croiser. Et ajouté à ça ma peur des avalanches mon état n'est pas des meilleurs. La sécurité du village me manque.
Je prends le risque de traversé le couloir et de toquer à la porte de Gabin.
- C'est ouvert. Qu'est-ce qui se passe ? Demande-t-il en se levant sur les coudes.
- Tu ne te moques pas ?
- Non.
- J'ai peur.
- Tu veux avoir peur de quoi ici ? On est en sécurité.
- Oui, je sais, mais mon esprit ne veut pas y croire. Du coup, je n'arrive pas à dormir. Je peux rester avec toi. S'il te plaît.
- Je ne partage pas ma couverture, vas chercher la tienne.
- Merci !
Je cours chercher ma couverte et me blottis dans son lit. Le fait d'être avec quelqu'un d'autre – même si on mourra tous les deux s'il arrive quelque chose – me rassure.
- On aurait mieux fait de prendre la première chambre, lâche Gabin, à moitié endormi.
- Je suis d'accord.
Puis je m'endors.

La liste d'un noël (presque) parfaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant