34 - Les mensonges sont déjà entre nous

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À l'instant où je rouvre mes paupières, je constate que je demeure étendue sur le somptueux canapé, ma tête délicatement soutenue par les cuisses musclées de Pierre. Une légère rougeur teinte mes joues, témoignage involontaire de la proximité de nos corps, tandis que mes yeux, encore engourdis par le sommeil, captent les nuances subtiles d'un changement atmosphérique. L'air semble avoir opéré une délicate métamorphose, abandonnant son étreinte étouffante pour céder la place à une tiédeur douce et bienvenue. Enfin, je vais pouvoir respirer.

Avec une précaution délicate, je pivote légèrement ma tête pour contempler le visage paisible de Pierre. Endormi, il repose sereinement, sa tête inclinée vers l'arrière, épousant la courbe accueillante du dossier du canapé. L'image de sa quiétude m'envoûte, et dans ce moment de calme, je prends pleinement conscience de sa beauté singulière. Un frisson d'admiration trace sa course sur ma peau, et je me surprends à méditer sur la chance qu'ont ses collègues pilotes de pouvoir partager son quotidien chaque semaine. Une chance qui me reste étrangère, mais ces quatorze jours de vacances s'avèrent être un cadeau d'une inestimable valeur, peut-être même un acte de clémence de la part de la vie. Après tout ce que j'ai traversé, il se pourrait bien que l'existence ait choisi de m'accorder une pause amplement méritée.

Avec un léger amusement, je laisse glisser mes doigts délicatement sur les traits paisiblement endormis du visage de Pierre. Chacun de mes gestes explore sa physionomie, du doux relief de son nez à la courbure délicate de ses lèvres, jusqu'aux cils, qui délicatement, ourlent ses paupières. C'est comme si je tentais d'inscrire chaque détail dans ma mémoire, comme si je voulais graver son visage en moi au cas où tout s'arrêterait subitement, comme lors de l'accident.

Parfois, dans le dédale de mes pensées, je ressens une étrange inquiétude à propos de la netteté des souvenirs qui me restent de mes parents. Les images semblent parfois s'estomper, et je lutte pour me rappeler la couleur des yeux de mon père, le son du rire chaleureux de ma mère. À d'autres moments, ces souvenirs précieux semblent se volatiliser, me laissant dans une froideur viscérale. Les souvenirs sont tout ce qui me reste d'eux, et sans eux, je crains de m'oublier, d'oublier mes origines, d'oublier la raison de mon combat.

C'est pourquoi, face à la menace de l'oubli, je m'efforce de tout retenir. Mon regard parcourt chaque détail du visage de Pierre, gravant ses traits dans la fresque de ma mémoire. Je veux me souvenir de tout, car chaque instant, chaque détail est précieux, un fragment de ma réalité qui m'échappe, un moyen de préserver mon identité et le combat qui m'anime depuis des années.

Pierre, légèrement contrarié, fronce le nez lorsque le bout de mon doigt trace délicatement le contour de son arête, émettant un ricanement léger qui trahit son réveil imminent. Ses paupières s'ouvrent lentement, révélant un regard encore empreint de brume qui témoigne de son état de somnolence. Mes doigts persistent à caresser la peau veloutée de son visage, et presque instinctivement, il attrape ma main avec une douceur inattendue et la porte délicatement jusqu'à sa bouche pour y déposer un baiser d'une tendresse déconcertante. Une chaleur délicieuse envahit mes joues, les teintant de l'éclat rosé des pétales de rose.

Avec une tendresse infinie, il glisse sa main sur le sommet de mon crâne, entreprenant de caresser mes cheveux avec une délicatesse qui réveille en moi les souvenirs maternels de mon enfance, lorsque ma mère me caressait les cheveux pour que je trouve le sommeil. C'est un geste gorgé de réconfort, une sensation familière qui émeut profondément mon cœur et me plonge dans une bulle de béatitude que je n'ai pas ressentie depuis très longtemps.

Soudain, Pierre rompt le doux silence d'une voix apaisante, me demandant :

- As-tu réussi à te reposer un peu ?

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