Tous nos dérapages

13 - C'est mieux ainsi

Les jours s'écoulent inlassablement, un enchaînement de moments marqués par la répétition de mon travail au casino. Le bar devient à la fois mon refuge et ma prison, un endroit où je peux me perdre dans le rythme effréné de l'activité, oublier mes problèmes, du moins pendant un temps. Mes jours de repos se résument à rester enfermée chez moi, à regarder des comédies absurdes à la télévision pour tenter de m'évader de cette réalité étouffante dans laquelle je suis plongée. 

Ce mercredi soir, je suis postée derrière le bar, aux côtés de Victor. La musique du casino résonne déjà à un volume assourdissant, et les clients affluent pour profiter de leur soirée. J'essaie de faire preuve d'un sourire joyeux, de me fondre dans l'ambiance festive, mais la tempête qui fait rage en moi est loin de se calmer. Chaque verre que je sers, chaque conversation que j'entame avec un client, est une distraction bienvenue, un moyen de m'éloigner de mes tourments intérieurs.

J'ai pris une décision, une résolution ferme. Je veux laisser derrière moi Pierre, les photos, Steven... Je ne peux pas continuer à me torturer avec ces bêtises. Ma rencontre avec Pierre n'était que fortuite, et il ne réapparaîtra pas d'aussitôt dans ma vie. Mon objectif désormais est clair et simple : retrouver l'auteur de l'accident. Toutes mes pensées, toute mon énergie, sont focalisées sur cette quête de vérité. Peut-être qu'enfin, une fois cette histoire résolue, je pourrai enfin vivre ma vie sans être hantée par le passé.

Pour être efficace derrière le bar, je fais le vide dans ma tête. Je prépare des cocktails, des martinis, des mojitos sans me prendre la tête. Je suis concentrée sur chaque geste, chaque mélange, chaque verre que je sers. Les conversations avec les clients sont des interactions rapides, des échanges cordiaux, mais je ne m'y attarde pas. Je les laisse profiter de leur soirée, tout en continuant à jouer mon rôle de barmaid souriante.

Pendant un moment, je parviens à oublier tous ces affreux tourments qui m'obsèdent depuis mon enfance. Le bruit de la musique, les rires des clients, le tintement des verres... tout cela crée un cocon d'effervescence qui me permet de me couper du monde extérieur, du moins pour quelques heures. J'ai appris au fil des années à utiliser mon travail comme une échappatoire, un moyen de fuir mes soucis, du moins temporairement.

À mes côtés, Victor m'épaule comme il peut, mais il est rapidement pris d'assaut par des dizaines de filles qui viennent fêter un enterrement de vie de jeunes filles. Il faut dire que Victor est un homme charmant. Ses yeux sombres et ses cheveux mi-longs lui confèrent un charme indéniable. Il pourrait faire craquer n'importe quelle fille avec son sourire et l'intensité de son regard. N'importe quelle fille, sauf moi.

Dès notre rencontre, j'ai tout de suite vu Victor comme un bon ami. Peut-être parce qu'il me rappelle étonnamment mon père. Son attitude protectrice, son sens de l'humour, et sa gentillesse désintéressée me rappellent les moments heureux de mon enfance. Victor est comme un roc, un pilier sur lequel je peux compter, et je ne pourrais pas rêver d'un meilleur ami.

Alors que les filles continuent de tourner autour de lui, Victor gère la situation avec élégance, répondant poliment à leurs avances sans pour autant leur donner de faux espoirs. Il sait qu'il n'est pas là pour trouver l'amour ce soir, mais pour travailler.

Je ne peux m'empêcher de rire en voyant toutes ces filles se pavaner devant lui. Il ne manque pas de me donner un petit coup de coude que j'accepte en me moquant. Pendant ce temps, je continue de nettoyer et d'essuyer les verres lorsque la foule diminue.

Alors que je m'occupe des verres, je remarque deux silhouettes qui s'assoient sur les tabourets face à moi. Je relève les yeux et mon coeur rate un battement en croisant le regard de Pierre, qui est juste là, sous mes yeux. À ses côtés, il y a son ami Charles. Une bouffée d'émotion m'envahit, et je m'efforce de garder mon calme.