Tous nos dérapages

28 - À chaque fois qu'on aime, un drame survient

Les jours passent et se ressemblent, égrenant une monotonie qui devient de plus en plus étouffante. Je travaille d'arrache-pied au casino, malgré un épuisement physique qui m'achève lentement. Mon corps, fidèle indicateur de mes limites, tire le signal d'alarme à travers plusieurs malaises, mais mes congés semblent encore trop lointains.

Victor, préoccupé par ma santé, me conseille de me ménager, de prendre du recul. Mais Bertrand, insensible aux signes de détresse de mon organisme, m'oblige à enchaîner des heures interminables, me poussant à être plus énergique que jamais, surtout face aux nouveaux clients du casino. Je suis au bord de la rupture, mon corps épuisé ne parvenant plus à suivre le rythme. En deux semaines, j'ai perdu quatre kilos, un témoignage physique de l'enfer que représente mon travail actuel.

Côté sentimental, c'est un tout autre tableau. Pierre, pris dans l'engrenage infernal de son métier, n'a pas pu revenir à Monaco depuis notre dernier rendez-vous. Malgré son absence physique, il essaie d'être présent pour moi à travers nos échanges de messages. Évidemment, cela ne remplace pas sa présence réelle, mais chaque mot qu'il me partage m'apporte un semblant de soutien et de considération.

Pierre brille sur les circuits, plus motivé que jamais dans sa carrière de pilote de F1. Pendant que son étoile s'élève, je m'accroche à la conviction que je peux être la personne à qui il peut se confier sans retenue. Chaque message, chaque échange, crée une connexion fragile mais significative entre nous. Malgré les difficultés qui m'assaillent au quotidien, savoir qu'il partage ses pensées et ses défis avec moi est une petite preuve de son affection à mon égard. 

Le contraste entre ma vie professionnelle éreintante et cette échappatoire émotionnelle qu'est notre communication rend chaque journée plus pénible que la précédente. Les vacances se profilent à l'horizon, mais en attendant, je m'accroche à l'idée que cette période difficile aura une fin.

Ce soir-là au casino, l'atmosphère pesante s'installe comme une routine que je connais bien. Bertrand, mon responsable, est sur mon dos depuis le début de la soirée, épiant chacun de mes faits et gestes comme un vautour guettant sa proie. À la moindre pause, le souffle à peine repris, Bertrand s'empresse de me rappeler à l'ordre, m'ordonnant de reprendre mon travail immédiatement. Chaque instant de répit semble être un défi à son autorité. Je n'en peux plus.

Les pensées de démission me hantent, et chaque injonction de Bertrand me donne envie de jeter l'éponge. J'ai cette envie viscérale de lui dire ce que je pense réellement de lui, de dévoiler à quel point il est insensible, opportuniste, et manipulateur. Que je le déteste.

J'aimerais tellement avoir le courage de donner ma démission, de claquer la porte de ce lieu de tourments, au profit d'un travail meilleur. Mais la réalité est implacable, et le courage me manque. La peur de l'inconnu, l'incertitude de l'avenir, tout cela me retient, me fige dans cette situation intenable. Chaque soirée au casino devient un défi, un exercice d'endurance physique et émotionnelle, où ma dignité vacille sous le poids des humiliations.

Pourtant, malgré cette lassitude qui a atteint son point de non-retour, je continue à résister, m'accrochant à la mince lueur d'espoir que les choses pourraient changer. Les jours où je rêve d'un nouveau départ se succèdent, mais la réalité du quotidien m'écrase, m'obligeant à porter un masque d'obéissance et de résignation.

Je me retrouve une fois de plus derrière le bar, à servir des boissons aux clients. Victor, mon complice de toutes les nuits, est là, prêt à être l'oreille attentive à mes innombrables plaintes. Toute la nuit, je me lamente sur la façon dont je déteste ce job, sur l'épuisement qui me ronge. Victor, toujours bienveillant, tente de me donner un maximum de courage, mais au fond de ses yeux, je lis son souhait secret : que je trouve un travail qui me traite mieux.