35 - Rester en mouvement pour ne pas sombrer

29 6 0
                                    


Finalement, la tentation irrésistible de la flemmardise a pris le dessus, et j'ai décidé de consacrer cette soirée à apprendre à connaître Pierre, tous les deux reclus dans l'appartement de Charles. D'ailleurs, Pierre a accueilli l'idée avec enthousiasme, visiblement aussi avide de repos que moi. Ces dernières semaines ont été particulièrement exigeantes pour lui, avec des week-ends de course qui s'enchaînaient à une cadence presque déraisonnable. À présent, la fatigue semble s'être emparée de lui, laissant transparaître un désir unique et impérieux : celui de se reposer. Une intention qui ne pouvait mieux coller à la mienne.

Les heures de labeur assidu au casino ont laissé des traces, accumulant une fatigue que même une nuit de quatre jours ne saurait entièrement dissiper. Ces deux dernières semaines ont constitué un véritable parcours du combattant, et l'idée de nous détendre dans le cocon rassurant de l'appartement de Charles apparaît comme le programme idéal.

Sur le chemin serpentant jusqu'à l'appartement de Charles, Pierre se tourne vers moi, arborant un sourire bienveillant, et lance avec une douceur qui n'échappe pas à mon attention :

- Ça te dit qu'on cuisine quelque chose pour ce soir ?

La proposition éveille un sourire sincère sur mes lèvres, car la cuisine, pour moi, est une affaire intime. Ce n'est pas un moment que l'on partage avec n'importe qui, tout comme on ne laisse pas n'importe qui entrer dans notre sphère personnelle. La simple idée que Pierre propose de cuisiner ensemble évoque des notions de proximité et de partage, mais l'ambiguïté qui plane entre nous nécessite des paroles concrètes, une clarification qui tarde à venir et dont je commence à m'impatienter sérieusement.

- Bien sûr, c'est une chouette idée ! Réponds-je avec enthousiasme, bien que, au fond, une part de moi désirerait entendre ces intentions directement de sa bouche pour les rendre réelles, palpables.

 Le flou qui persiste entre nous devient de plus en plus dense, chaque geste, chaque proposition semble chargé de significations implicites. Il réplique :

- Viens, on passe à la supérette à l'angle de la rue avant de rentrer. Tu as envie de manger quoi ? 

Nous nous dirigeons vers une petite épicerie, dont la clientèle est éparse. Mes épaules se soulèvent légèrement, car habituellement, un bol de céréales me suffit. Il faut dire qu'en matière de nourriture, je ne suis pas très exigeante. Les privations alimentaires étaient les sanctions favorites de Monique, ma mère par procuration en famille d'accueil. Lorsqu'elle me punissait, c'était en me privant de repas. Ainsi, lorsque venait enfin le moment de manger, je n'étais pas encline à faire la fine bouche.

Nous franchissons le seuil de l'épicerie, et l'atmosphère change, passant de la chaleur extérieure à une fraîcheur bienvenue. La décoration intérieure, aux tons neutres et aux étagères méticuleusement rangées, crée une ambiance accueillante et organisée. Les odeurs de produits frais et d'épices flottent dans l'air, formant une symphonie olfactive qui titille mes sens.

Cependant, mon esprit est encore occupé par le dilemme de choisir le repas idéal. Pierre m'accompagne à travers les rayons, et je reste silencieuse, observant les étiquettes et les produits alignés. Le choix se révèle plus compliqué que prévu. Pierre, sportif de haut niveau, suit un régime strict, et je me demande s'il serait judicieux de lui proposer une de mes envies gourmandes. S'offusquera-t-il si je lui avoue que l'idée de dévorer des lasagnes au parmesan avec supplément parmesan me semble irrésistible ?

Il se tourne vers moi, ses yeux curieux cherchant des indications. Heureusement, Pierre, dissimulé derrière sa casquette et ses lunettes de soleil, passe presque inaperçu au milieu des autres clients. La pression monte alors que je m'apprête à formuler une réponse.

Tous nos dérapagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant