Chapitre 1

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Eilleen Bremen

Un frisson m'avait parcouru l'échine lorsque Jamieson Lieras avait posé le lourd dossier contenant une cinquantaine d'images et photographies, quelques dizaines de pages de témoignages et informations, et quatre prélèvements d'ADN sur mon bureau. Le dossier portait l'inscription "Rosannah Winters" en grosses lettres sur la face. Je lui avais pourtant supplié de demander à ce que Robert mène l'enquête à ma place puisque celui-ci avait l'air plutôt intéressé par l'affaire, mais il avait refusé catégoriquement.

C'était à moi de résoudre l'affaire. Moi, la nouvelle. La débutante. La plus bizarre.

À chaque fois que je me pose sur mon large bureau en ziricote face au dossier, dans l'espoir de relier des informations évidentes pour comprendre l'affaire, mon cœur se met à battre à tout rompre, je me mets à trembler et à transpirer comme lors de ces longues crises de panique qu'il m'arrive de faire un peu trop souvent à mon goût. Dans ces moments-là je finis donc par le ranger dans mon armoire de travail.

C'est en raison de ces sortes de frayeurs que je suis parvenue à obtenir un délai de six mois pour clore l'enquête. Mais serait-ce suffisant ?

D'autres enquêteurs plus expérimentés que moi avaient tenté de la résoudre, mais avaient fini par abandonner leur métier tant les faits étaient terrifiants. Finalement, mon chef avait fini par reposer le sort de notre agence sur mes épaules. Déjà que notre métier n'était pas reconnu comme nécessaire, car les Normaux de notre société n'étaient pas curieux au point de savoir qui faisait quoi, où et quand, alors en plus si nous rations la moindre chose que l'on nous demande, alors il en serait fini de nous.

Tous ceux qui choisissaient-si je puis dire choisir, puisqu'on nous imposait dès tout petit une sélection parmi dix professions-étaient différents, on était « Les autres ». Mon supérieur m'a choisie, car il en avait marre de perdre des employés, je suis la plus dispensable pour lui. Je suis trop étrange, trop différente. La plus anormale parmi tous les anormaux. J'y suis habitué. Si j'abandonne, personne ne m'en tiendra rigueur. Mais je veux donner le meilleur de moi-même.

Je ne dois pas faire honte encore une fois à l'agence, mais suis-je seulement capable de résoudre cette enquête ? Tout ça juste pour que les populations tirent une croix dessus une bonne fois pour tout. Mon travail et mon avenir sont en jeu, il n'a pas omis de le préciser. Si je n'y arrive pas, je devrais choisir un autre métier parmi les neuf restant, et si je ne suis pas accepté, je devrais partir vivre dans La Crique Des Détestables, le lieu le plus effroyable et redouté. Le lieu de l'exil.

Je sais pourtant si bien que je ne dois pas baisser les bras, comme mes aînés avant moi, mais jusqu'alors, notre agence ne gérait, au plus grave, que des histoires de vols aggravés, c'est-à-dire, le rôle de la Cavalerie, inexistante dans ce village paumé au cœur de la Westalie du Nord.

Cette profession fait partie de la plus populaire parmi les signes Bleus, mais certains Verts et Blancs en font partie. Seuls les Rouges n'y ont pas accès. C'est étrange, car ces catégories ne font pas de nous qui nous sommes, se sont uniquement les héritages des pouvoirs disparus de nos ancêtres. Enfin, je ne devrais pas m'inclure dedans puisque je n'ai ni le signe ni cornes, ni cheveux colorés de Rouge, Bleu, Blanc ou Vert. Ceci fait toute la différence.

Aujourd'hui me voici de nouveau confrontée à mon problème. Je le regarde, les yeux grands ouverts, ne sachant pas si je me décide à m'y mettre pour de bon ou si j'attends encore un ou deux jours. Les battements de mon cœur s'accélèrent de plus en plus.

"Eilleen, reprends-toi. Toi qui te plaignais de ne travailler qu'en équipe depuis un an, alors que tu souhaitais faire plus, c'est l'occasion de montrer tes performances d'enquêtrice."

Les toiles rougesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant