prologue

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  A toutes ces âmes qui se sont laissées avoir par ce poison addictif et destructeur qu'on appelle l'amour, cette histoire est pour vous.

Parce que parfois, aimer ne suffit pas, il aurait fallu une autre vie. 




Je me souviens d'absolument tout, et dans les détails, c'est ça le plus frustrant. Je tente d'oublier mais je m'en souviens comme si cela venait de se produire. Je tente de faire comme si cela ne s'était jamais passé, mais tout me ramène à ce jour, le jour de mes huit ans.

Mercredi quatorze octobre, dix-sept heures trente deux. J'étais assise à mon bureau en train de dessiner le portrait de mon chien, Jumbo, en noir et blanc. J'avais prévu qu'une fois fini, il serait accroché sur ce mur dans ma chambre qui est déjà recouvert d'autres portraits. C'était mon anniversaire mais je ne l'avais pas fêté, je n'avais personne à inviter mais cela ne me dérangeait pas. Papa, maman et moi devions manger un gâteau pour le fêter et il n'y avait que cela qui m'importait. Ayant fini mon dessin plutôt réussi, je descendis les escaliers lentement tout en l'admirant fière de moi. Jumbo était dans sa paillasse juste avant le salon alors je le caressais quelques secondes en lui montrant mon dessin même s'il ne devait pas comprendre que je l'avais représenté.

- Allô ? Allô ?

Je rentrais dans le salon ne comprenant pas pourquoi personne ne répondait à cette femme au téléphone alors que tous deux étaient en bas. Papa et maman se tenaient la main en silence. Ils montèrent chacun sur le tabouret devant eux et insèrent leurs têtes dans ces cordes fixées au plafond. Papa poussa légèrement du pied le tabouret sur lequel ils étaient encore et dans la seconde suivante leurs mains qui étaient entrelacées se lâchèrent pendant maintenant le long de leurs corps.

- Maman ? Dis-je en les regardant.

Seulement elle ne me répondis pas. Je ne voyais plus leurs visages, leurs têtes pointant vers le sol, leurs pieds ne touchant plus le tabouret. Je m'approchais et secouais doucement la main de mon père.

-Papa?

Mais il ne répondit lui aussi rien. Il n'y avait aucune goutte de sang, mais voir mes parents pendus à ces cordes avait installé une boule de panique au creux de mes intestins.

- Il y a quelqu'un ? Reprends le téléphone.

Je pris le téléphone fixe posé sur le buffet et dit lentement :

- Allô.

Ma voix était presque tremblante. J'avais bien compris que quelque chose n'allait pas, mais en aucun cas, je n'avais pensé à la mort.

- Comment tu t'appelles ?

- .. Anna.

Je continuais de regarder mes parents au cas où ils se mettaient à bouger.

- Gardes le téléphone à ton oreille et surtout ne raccroches pas. Est ce que c'est toi qui a composé le numéro, continue-t-elle de me questionner.

-Non..

Jumbo vint vers moi après avoir reniflé du bout de sa truffe les mains de papa et maman toujours immobiles.

- Tout va bien se passer Anna, essayait-elle de me rassurer. Est-ce que tu es en danger ?

Je ne savais pas qui était cette femme qui posait des questions étranges à une petite fille de seulement huit ans.

- Je, je ne sais pas.. non.

Je venais à peine de finir de prononcer que non quand la porte d'entrée s'ouvrit brusquement. Trois inconnus l'avaient enfoncé. Une jeune femme et deux hommes. Leurs regards restèrent plantés sur mes parents et leurs expressions s'assombrirent. La femme s'approchait puis s'accrouprit devant moi ma main dans la sienne.

- Tout va bien se passer, ça va aller ma puce, me dit-elle. On va préparer tes affaires, d'accord ? Je vais t'aider, tu vas devoir prendre les choses don't tu ne veux pas te séparer et moi je m'occupe du reste.

Face à mon silence prolongé, elle balaya le salon du regard et constata les escaliers.

- Ta chambre est à l'étage ?

J'hochais la tête. Je me sentais étrange. Qu'est ce qu'il se passait ? Elle se redressa et garda ma main libre dans la sienne. Quant à l'autre, je tenais fermement mon dessin que je venais de finir il y a maintenant quelques minutes, quand tout était encore normal. Nous montons à l'étage et mes jambes faillirent lâcher à plusieurs reprises malgré le fait qu'il y avait seulement une dizaine de marches. Les choses don't je ne voulais pas me séparer, à huit ans je n'avais pas encore conscience que je ne reviendrais plus jamais ici, alors bien sûr que je regrette d'avoir pris cela. Je me dirigeais à mon bureau délabré et mis, dans le sac que la dame avait placé dans ma chambre, mes nombreuses esquisses et une boîte de crayons premier prix ainsi que cette peluche qui ressemblait plus qu'à un bout de tissu.

- Tu ne prends que ça ? me demande-t-elle.

Que voulait-elle que je prenne d'autre. Ces crayons mauvais jeu étaient déjà affreusement chers pour nous. Pouvoir manger à midi était une chance, alors oui je n'ai pris que ça, c'était la seule chose matérielle que je possédais réellement en dehors de cette peluche. Elle rajouta ce plaid blanc qui était sur mon lit et mes affaires scolaires avant de me dire encore une fois :

- Ne t'inquiètes pas, ça va aller. On va descendre et partir d'ici.

Pourquoi partir ? C'est chez moi ici, je ne veux pas m'en aller.

-Mais..vous êtes qui? Demandais-je faiblement.

- Je m'appelle Aurore et je suis là pour t'aider ma puce, me répond-t-elle en écartant une mèche de mon visage pâli.

- C'est toi qui l'a dessiné ? M'interroge-t-elle en montrant le dessin de Jumbo toujours dans ma main gauche.

Je hoche la tête et elle reste une seconde stupéfaite. Nous redescendons avec le sac. Jumbo s'était recouché dans sa panière.

- Nous ne pouvons pas l'emmener alors fais lui tes adieux.

Mes adieux?

- Pourquoi ?C'est mon chien. Je ne veux pas le laisser.

- Nous n'avons pas le choix, mais ne t'inquiète pas il sera emmené dans un endroit avec plein d'autres chiens ça s'appelle la S.P.A, m'explique-t-elle.

Mes yeux se remplissaient de larmes qui venaient brouiller ma vue, elles stagnaient mais ne tombèrent pas de mon ras de cil. J'enlace Jumbo dans mes bras et le serre fort. Il avait l'air abattu. Je ne voulais pas le quitter. Jamais. Mais je sentais que l'ambiance de la maison devenait de plus en plus froide et malaisante et que nous ne devions pas rester ici. Seulement j'aurais aimé que l'on s'en aille tous les deux. Je me relevai. Je savais bien, malgré mes huit ans, que j'étais trop petite pour m'occuper seule de lui, déjà que papa et maman en avaient du mal, je risquais juste de le rendre encore plus malheureux.

- Et..papa et maman ?

Elle me prit dans ses bras en guise de réponse et mes larmes glissèrent enfin sur mes joues. Incapable de marcher, mes jambes comme encrées dans le carrelage elle me porta jusqu'à la porte d'entrée. Je regardais par la fenêtre depuis l'extérieur une dernière fois mes parents toujours pendus. Pour moi ce n'était rien, c'était les quitter pour mieux les retrouver. Si j'avais su. Je crois quand même qu'au fond de moi, j'avais compris qu'ils s'étaient suicidés, qu'ils étaient morts devant moi. Seulement j'ai préféré masquer cette vérité trop violente pour mon âge.

Nos âmes briséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant