1 : Foyer

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Eden

Six ans plus tard.

-Toujours rien ? Me lance Yan allongé sur le lit au-dessus du mien.

- Même si elle se pointe un jour je ne repartirai pas avec elle, je te l'ai déjà dit.

- T'as raison, désolé.

Bien sûr que j'ai raison. Elle avait qu'à faire plus attention à son gosse. Il me pose sans arrêt cette question, ça me donne limite l'impression qu'il veut que je dégage au plus vite. Une notification apparaît sur l'écran cassé de mon téléphone. Je me lève de ce lit inconfortable et claque la porte de la chambre derrière moi pour me rendre dans un coin enfoncé dans ce grand couloir. Un type s'y tient, Don je crois.

- Mon fric d'abord, lui crachais-je.

Il sort quelques billets de sa poche et je les insère dans la mienne. Je ne sais pas comment ils se les procurent parce qu'à part aller au lycée on ne peut pas faire grand chose, mais je ne préfère pas le savoir. Je lui donne sa coque et me casse. Je descends en bas et, à défaut de ne pas avoir le droit de cuisiner, j'ouvre un placard dans lequel on a le droit de se servir et je prends une gaufre sans rien y mettre dessus. Je ne compte pas rester longtemps dans cette pièce. Je n'aime pas, il y a du monde. Plusieurs personnes, d'environ treize à dix-sept ans, s'y trouvent assis à ces tables en bois en train de jouer aux cartes ou encore juste discuter, bref des choses que je n'aime pas.

- Je dois aller à mon cours de musique, dis-je à une des assistantes.

- Très bien tu peux y aller surtout ne tardes pas pour rentrer, me répond-t-elle avec un sourire qui a le don de m'agacer. Alors que je me tourne pour partir, elle me retient par le bras.

- Eden, tu es sûr que ça va ?

Si elle me laissait sortir de la pièce, ça irait.

- Oui.

Elle me sourit sans cacher son air inquiet. Cette Aurore me répugne à avoir trop de compassion.

-Eden! Me rappelle-t-elle. Ton bon de sortie, tiens.

J'attrape le bout de papier qu'elle me tend et m'en vais pour de bon. Il fait bon dehors, assez pour sortir en t-shirt, mais l'orage menace de tomber. J'hésite un instant à sécher. Je pourrais juste marcher dans les rues tristes de Londres, car oui nous ne sommes pas dans cette partie pleine de foule et de beaux bâtiments mais plus là où les loyers sont un minimum touchables et où la pollution prend le dessus. Mais finalement je m'y rends.

Je suis donc devant ce mec qui pue la clope à dix kilomètres, ce mec qui me sert de coach.

- Est-ce que tu t'es entraîné sur ce que je t'ai dit ? Me demande-t-il assis sur une chaise devant moi.

Il ne sait pas que je vis en foyer d'accueil, et je ne compte pas lui dire.

- Je n'ai pas eu le temps, mentais-je.

Je me vois mal chanter dans ma chambre ou encore dans les couloirs. Il soupire et se lève pour placer un texte devant moi avant de se rasseoir.

- Chantes moi ça, on fera le point après.

J'observe les paroles et remarque que c'est encore une de ces chansons puériles que je hais. Je commence à chanter avec peu d'entrain et il dût le remarquer car il me coupe.

- Si tu n'avais pas envie, il ne fallait pas venir. T'as une belle voix alors bosses si tu veux l'exploiter, me lance-t-il.

- Sans déconner, vu la chanson je ne préfère pas chanter du tout.

- Et bien propose moi quelque chose alors.

Je place cette feuille chiffonnée à cause qu'elle soit restée trop longtemps dans ma poche à la place de la sienne et commence donc. Je ne lui dis pas que ce texte parlant d'une vie sans cacher ce que l'on voudrait, c'est moi qui l'ai écrit, et je ne lui dirais probablement jamais. Un jour moi aussi j'habiterais dans le Londres où tout est hors de prix et je vivrais de ma passion, et de la drogue.

- C'est pas mal ça, reprend-t-il. J'aime bien. Montres moi maintenant au niveau de la guitare, t'as bossé tes accords j'espère.

                                                 *

Deux heures après, je suis de nouveau dans la rue, sauf que cette fois il pleut et la nuit n'est pas loin. Je finis trempé en moins de deux. Je déteste la pluie. Je m'abrite sous un escalier d'immeuble près des poubelles à moitié par terre.

- Hé je ne vais pas te le dire deux fois ! Entendais-je un peu plus loin.

Deux mecs à peine perceptibles se trouvaient au fond de cette rue sombre.

- Je n'ai pas ce que tu cherches, dit celui plaqué au mur.

- Ha ouais, t'es sûr ?

Je crus reconnaître Yan entrain de poser un flingue sur la tempe de l'autre qui ne m'est pas non plus inconnu. Il me semble l'avoir déjà vu, peut-être que lui aussi vit dans ce de foyer. Je voulus m'avancer d'un pas mais je n'avais pas vu la canette vide devant moi. Je ne compte pas me cacher de façon débile alors je sors de sous l'escalier.

- Qu'est-ce que tu fiches ici ? Me demande Yan l'air grave et menaçant.

- Mec, poses cette arme, lui répondis-je.

J'aurais bien voulu rajouter qu'en plus il ne sait sans doute pas vraiment la manier, mais je m'abstiens.

- Dégages, c'est pas tes affaires.

- Ne fais pas de conneries. Rappelle-toi qu'on est deux. J'ai pas envie que des simples dealeurs se transforment en meurtriers et que les keufs nous collent.

- Fermes là et casses-toi Eden !

Je le regarde une dernière fois et lui tourne les talons. De toute façon, qu'il tente quoi que ce soit, j'ai prévu de faire mes affaires seul bientôt. Seulement s'il tue ce type, ça va être chaud pour qu'il me laisse tranquille.

Je pousse les battants de la porte en bois foncé et entre dans le hall.

- Laissez-moi !

- Calmes toi et ne cries pas il y en a peut-être qui dorment.

- Ne me touchez pas !

Avant de monter les escaliers, j'observe dans la pièce à côté un couple et deux assistantes en train d'essayer de calmer cette fille au sol. Ses cheveux blonds sont ébouriffés et je pense que trois coups de brosse ne suffiraient pas pour les peigner.

- Nous ne te voulons pas de mal, au contraire, dit la femme accompagnée de sans doute son mari.

Alors elle va être envoyée en famille, elle aussi.

- Une maison stable, un foyer, un petit frère, cela serait merveilleux, explique une des assistantes.

Ces paroles sont répugnantes.

-Non.. je n'ai pas envie de me reconstruire ! Crie la fille.

- Anna il va falloir tu ne pourras pas rester ici indéfiniment.

- Je n'y compte certainement pas. Je ne veux pas rester avec des hypocrites qui font semblant de nous aider.

- Anna ! La reprend l'assistante, Marie je crois.

- Fermez la ! Crie-t-elle de nouveau avant de sortir pour rejoindre les escaliers.

Surprise, elle resta quelques secondes à me regarder puis elle monta. Ses yeux sont éteints, seule la haine les rallume.

Nos âmes briséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant