Anna
Il tire son t-shirt comme s'il se sentait soudain oppressé. Je suis plantée là, à côté de lui, sans bouger. Il fixe une affiche accrochée au mur où se trouve une mannequin portant des articles de la marque. Quand sa respiration s'accélère la femme derrière la caisse se jette a son cou. Qui est-elle pour lui? J'ai bien vu le sourire qu'elle lui a adressé en entrant mais la différence d'âge est trop grande pour que ce soit ce que je pense.
- Eden? Dis-je faiblement.
Je ne sais pas pourquoi mais je ne pensais jamais le voir dans un état pareil. Pour moi il est au-dessus de tout ça. Au-dessus de ses émotions. Mais il faut croire que lui aussi est un être humain submergé. Il relève la tête et je constate que ses yeux brillent. Peut-être à cause de la lumière. Son souffle se calme lentement et la brune à son coup caresse sa joue.
On se ressemble bien plus que tu ne le crois.
Je comprends maintenant ses paroles. En ce moment même, j'ai l'impression d'assimiler son état au mien, je peux me voir à travers lui. Avant que la prise de conscience ne soit trop grande je sors de la boutique. Je suis surprise par une foule immense qui m'entoure et tente d'entrer. J'ai l'impression d'être une de ses feuilles d'automne qui se font piétiner par ces gens. L'angoisse nait en moi et tout se mélange dans mon esprit. Je m'apprête à courir pour fuir mais une main enlace la mienne et me tire à l'intérieur.
- Hé tout va bien, me rassure Eden.
La foule n'est pas un problème d'habitude pour moi, mais parfois une angoisse me rattrape et je suis impuissante face à elle.
- Il y a une porte à l'arrière, on va passer par là d'accord?
Il est redevenu comme avant.
- Pourquoi tu ne vas pas les voir? Elles n'attendent que ça.
- Le devoir m'appelle c'est vrai. Mais une demoiselle en détresse à besoin de moi.
- Je ne suis pas en détresse.
En fait je ne sais pas comment mais l'angoisse semble s'être dissipée.
- C'est vrai ce mensonge, insiste-t-il en prenant mon menton entre ses doigts.
- Dégage t'es trop proche, dis-je en le poussant.
Je prends une grande inspiration et ouvre la porte pour me retrouver face à cette foule hystérique. D'un coup un silence s'installe et plus personne ne crie. Je lève la tête et constate qu'Eden est debout derrière moi en train de sourire. Un sourire sans doute faux.
- C'est qui elle, entendais-je chuchoter.
Il s'apprête à parler mais je lui mets un coup de coude dans le ventre pour ne pas qu'il le fasse et tente de me frayer un chemin pour me casser d'ici.
*
Je suis adossée à la portière de sa bagnole quand il arrive enfin.
- Toi non plus tu n'es pas un bon menteur, lui fis-je remarquer tout en entrant à l'intérieur.
- Tu trouves?
- Le jeu d'acteur ne suffit pas si tes yeux sont vides.
- Pourtant personne ne le voit.
- Moi si. Je peux voir ce vide immense au-delà de ton sourire niais.
- Peut-être parce que toi aussi tu le détiens.
- Sûrement, répondais-je en regardant le paysage défiler par la vitre.
- Alors essayons de devenir de meilleurs menteurs, car être deux êtres seulement remplis de tristesse et d'amertume n'est pas la meilleure chose qu'il soit.
De l'amertume dit-il. Est ce que c'est ça la chose étrange qui prend place quand je suis face à Sophie et Marc? Probablement.
- Dis, commençais-je toujours le regard flottant à travers les immeubles, est ce que ce soir je peux rester chez toi?
- Tu te sens comment? Me demande-t-il d'une voix douce et compréhensive.
- Je saigne.
C'est la seule chose qui me paraît décrire mon état actuellement. C'est incontrôlable. Non refermable. Comment avancer? Même si je saurais je crois que je n'en ferais rien, parce que j'ai cessé de me battre quand j'ai démarré ma deuxième vie chez eux. Depuis je suis figée dans le temps.
- Alors ce soir, tu vas te reposer et quand tu en auras envie, tu pourras venir ici pour essayer de stopper l'hémorragie, ou au moins la panser.
Mes cils s'humidifient par la tristesse qui remplit mes yeux lentement. Mon dieu mais qu'a-t-il vécu pour que ses mots abstraits reflètent ceux dont j'avais tant besoin d'entendre? Pas de parle moi, expliques moi ou encore tu dois me parler pour que je t'aide sinon je ne pourrais rien faire. Il a vu mes larmes mais ne dit rien pour autant. Pour la première fois j'ai l'impression d'être comprise, qu'on ne me juge pas pour ce que je suis réellement. Il est là et écoute simplement les hurlements sans voix de mon âme.
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Nos âmes brisées
Romance⚠️TW: drogue, suicide. Je n'aurais jamais pensé que le jour de mes huit ans tout allait devenir si dur. J'ai accepté pensant guérir mais vivre dans l'ombre d'une morte est trop pesant pour moi. Voilà que maintenant ma plaie est encore plus ouverte...