7 : Couleurs

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Eden

Cela fait trois heures que j'attends dans la bagnole et putains, je me fais chier. Je n'ai rien d'autre à faire que de reluquer les lycéennes qui passent mais à force j'ai presque l'impression qu'elles se ressemblent toutes. Pas un cheveux qui n'est pas à sa place, leurs jupes d'uniforme bleu marine toujours bien mise, leurs chemises blanches boutonnées jusqu'en haut tout sauf froissé et un parapluie à la main. Des clones.

Je sors une clope du paquet dans ma poche et la grille. J'ouvre la fenêtre parce que même si je fume je n'aime pas l'odeur qu'elle répand, surtout dans les endroits clos. C'est quand la vitre teintée descend jusqu'en bas que je la vois marcher jusqu'à la sortie. Elle me dépasse en m'ignorant alors je lui cris :

- La blondasse !

Elle tourne la tête les sourcils toujours et encore froncés. Elle continue de marcher sans se préoccuper de moi alors je démarre et la suis lentement en voiture jusqu'à ce qu'elle se lasse.

- Lâche-moi, finit-elle par cracher.

- Tu as tort de croire que je vais te laisser filer comme ça, assurais-je.

- C'est bien dommage parce que moi, je ne compte pas arrêter de marcher maintenant.

- Et tu vas où ? Tu veux que je te dépose ? A moins que tu préfères la pluie au endroits sec.

Forcer à l'air de marcher car son visage se froisse un peu plus à chaque mots que je prononce.

- Fais pas ta difficile et monte,aller !

- Bon tu veux quoi, dit-elle irritée.

- Pas grand chose en réalité.

Elle me dévisage tout en maintenant son expression gavée.

- Tu dessines n'est ce pas ?

Elle recule de deux pas en entendant cela. Je n'aurais peut-être pas dû dire ça. Je ne suis pas sensé être au courant, du moins pour elle.

- Comment tu sais ça ? Demande-t-elle distante.

- J'ai retrouvé un carnet par terre rempli de croquis, je l'ai remis dans ton sac juste avant que tu viennes le chercher.

Je pris pour qu'elle ait bien un carnet dans son sac. Toutes les personnes qui dessinent à un carnet dans son sac non ? Je l'espère.

- Hmm, ok et quel est le rapport avec ce que tu veux ?

Bon maintenant, je sais qu'elle se promène bien tout le temps avec un carnet. C'est bon à savoir.

- J'ai besoin d'une styliste, tu le sais pourtant.

- Je ne dessine pas de vêtement si c'est ce que tu veux savoir alors bye, dit-elle en reprenant sa marche.

- Menteuse.

Je me rappelle vaguement l'avoir vu dessiner des portraits ainsi que des esquisses de robes.

- Tu ne rêverais pas de voir tes dessins prendre formes ?

Je laisse entrevoir un sourire narquois quand je la vois hésiter un instant.

- Pour l'instant, je te demande juste de m'aider à trier mes vêtements.

- Trier tes vêtements tu peux pas le faire tout seul c'est ça, réplique-t-elle sur un ton moqueur.

- Je suis daltonien imbécile.

Elle écarquille ses yeux ornés de ses longs cils noirs.

- Une semaine, tu l'as dis toi-même, reprenais-je.

- Ferme là tu veux ! S'agace-t-elle en contournant la voiture pour entrer et se mettre sur le siège passager.

- Pourquoi tu souris comme ça ! Braille-t-elle alors qu'elle s'attache.

Je mets un coup sur l'accélérateur et elle me lance un regard noir.

- Merci moi aussi je suis ravie que tu sois là, m'exprimais-je avec ironie.

Elle allume la radio mais la réteint aussitôt et enfile ses écouteurs. Je ne lui dis rien, déjà que m'aider à l'air d'être une corvée insurmontable. Elle ne le sait sans doute pas, mais j'entends sa musique à travers ses oreillettes blanches. Je peux lire TV Girl, Not Allowed sur l'écran de son téléphone qu'elle tient fermement comme si je pouvais lui voler à tout instant.

Le parking est plus vide que d'habitude. Elle regarde le paysage urbain par la fenêtre et cela me fait penser qu'elle est la première que je ramène deux fois chez moi. Je retire un de ses écouteur et lui dit dans l'oreille :

- On est arrivé.

Elle se plaque contre la vitre.

- Je sais c'est bon.

J'aime le fait qu'elle prenne peur si je suis trop près. Moi qui pensais qu'elle n'avait aucune faiblesse, je suis déçue.

- Tu comptes rester silencieuse encore longtemps ? Lui balançais-je alors que l'ascenseur monte.

- Peut-être que je parle pas mais au moins moi je vois les couleurs, crache-t-elle.

Je ne peux retenir ce petit rire surpris.

- T'es du genre radical

L'ascenseur s'ouvre et je m'empresse de passer devant pour pas qu'elle voit l'expression sur mon visage d'habitude neutre. Pour moi ça à toujours été une honte d'être daltonien, seulement personne ne le sait. Cacher mes faiblesses à toujours était une facilité pour moi. Ou peut-être que c'est une faiblesse aussi.

- A en croire les billets qui remplissent ta poche tu vas pas me faire croire que tu ne peux pas te payer une couturière ou une styliste.

- Je n'ai jamais dit que je pouvais pas.

Elle souffle pour la énième fois depuis tout à l'heure. Elle reste bouche bée, stoïque devant la porte de cette pièce qui me sert de dressing.

- Ha ouais. En effet, dit-elle en observant les vêtements qui sont étalés dans la pièce si bien qu'on en voit presque plus la moquette beige du sol.

- Alors voilà il faudrait que tu me dise les couleurs des vêtements que je ne distingue pas et après à toi de voir, c'est toi la styliste ici pas moi.

Mais qu'est ce que je fiche. Je n'ai aucune idée de pourquoi je voulais absolument qu'elle m'aide. Peut-être que c'est moi qui veux l'aider après tout. Je dois sûrement trouvé une proximité dérangeante avec elle car elle aussi à vécu l'enfer là bas. Qu'elle ne sera pas du genre à dire que je dois dramatiser les choses dès que j'ose en parler. Elle pose son sac contre le mur et attache ses cheveux en un chignon bas mal fait.

- C'est quelle couleur ça ? Me demande-t-elle en me tendant un des t-shirts qui était par terre.

- Beige ou rose clair.

- C'est vert clair.

Nos âmes briséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant