20 : Silhouette

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Anna

  Briser l'égo d'un homme peut s'avérer être révélateur. Vic a cru que j'allais céder à ses menaces en me traînant jusqu'au toit, seulement la pression de l'adrénaline n'a fait que décupler l'envie qu'il se passe quelque chose, juste pour voir. Maintenant il est à l'infirmerie pour panser sa plaie à l'arcade et tenter d'arrêter le sang que déversait sa narine gauche. La sonnerie retentit dans la classe et me sort de mes pensées. Quand je m'apprête à sortir de la salle le professeur, Monsieur Rosier, énonce de sa voix grave:

- Walter Anna, veuillez venir me voir s'il vous plaît.

Je marche jusqu'à son bureau où il est confortablement installé.

- Mademoiselle Anna, à peine revenue et voilà déjà que vous vous faites remarquer. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi Vic est à l'infirmerie en ce moment même?

Je ne réponds rien alors il reprend en posant ses lunettes à la monture noire sur son bureau:

- Puisque vous ne voulez rien me dire, vous viendrez en colle demain soir.

- Si vous n'avez plus rien à me dire alors au revoir.

Il arque un sourcil surpris. Je ne me dégonfle pas et sors de la salle sans me retourner. Il ne m'a jamais supporté depuis la seconde à l'inverse de Vic qu'il adore. Il l'aime tellement que je me suis demandée s'ils entretenaient une relation autre que professeur élève mais Vic est un pur hétéro alors j'ai abandonné cette pensée. Il ne reste déjà plus personne dans les couloirs, tout le monde est rentré chez soi. Quand je dépasse le portail du lycée, Sophie m'attend adossée contre sa voiture grise garée à la place où se garait habituellement Eden. Je reprends mes esprits et m'approche d'elle. Elle me regarde de haut en bas et cela me rappelle qu'à partir d'aujourd'hui ce sera tous les soirs comme ça. Je ne lui adresse pas la parole et nous rentrons chacune de notre côté dans sa Peugeot.

- J'ai reçu un appel de la principale cet après-midi, me lance-t-elle froidement.

Je ne réponds rien, je me contente seulement de jouer inlassablement avec l'attache de mon bracelet argenté.

- Elle m'a dit que tu avais envoyé un élève à l'infirmerie.

- C'est vrai.

Elle est un instant stupéfaite que je ne me cherche pas d'excuse, même si en réalité ce n'est pas à cause de moi qu'il a dû s'y rendre.

- Tu ne dis rien pour te défendre?

- Je n'ai rien à dire.

Elle soupire comme si elle avait tenté de me laisser une chance.

- Anna, depuis que tu fréquente ce jeune homme tout de même un peu plus âgé que toi tu es révoltée. Tu n'en fais qu'à ta tête.

Elle est tellement prévisible.

- Tu vas arrêter de le voir pendant quelques temps. Quand tu auras réfléchi à ton comportement on verra.

J'ai moi même coupé nos liens et cela n'est pas plus mal. Je n'ai pas besoin de lui dans ma vie et je vais me le prouver. A vrai dire je n'ai rien à prouver. Il n'était qu'une distraction, une excuse pour passer le moins de temps possible chez eux. Pourtant, une sensation désagréable se fait quand je pense que je ne le reverrai sans doute jamais mise à part sur un écran. C'est probablement le fait de ne plus pouvoir m'échapper qui me donne cette légère déception.

Nous sommes maintenant presque arrivées, je peux voir la façade blanche de leur maison. Je sors avant elle quand je vois Marc toujours et encore assis à la table du salon en train de gratter des jeux d'argent.

- On t'appellera pour dîner, dit-il sans lever les yeux de son jeu.

Je me précipite dans les escaliers pour m'enfermer comme d'habitude dans sa chambre. J'ai une tonne de devoirs qui m'attend. Entre les contrôles, une rédaction, une synthèse et les exercices de maths, ma soirée risque d'être longue. De toute évidence elle sera longue mais sans doute moins longue que quand je reste assise à griffonner les émotions que je n'arrive pas à exprimer. L'énoncé de maths est sous mes yeux et j'ai beau réfléchir je ne comprends pas. Avant mon père était là pour m'aider, maintenant je dois me débrouiller seule. Je m'apprête à fermer mon cahier, découragée mais un bruit près de la fenêtre se fait entendre. Je crois avoir rêvé mais le bruit se fait de nouveau alors je me lève pour regarder par la vitre après avoir poussé légèrement le rideau blanc. Je regrette immédiatement de m'être levée de la chaise quand je vois Eden dans son pull noir revêtu de sa capuche. Il est trempé par la pluie violente qui tombe depuis un moment. Je suppose qu'il est en train d'essayer de me faire comprendre d'ouvrir la fenêtre mais je ne le fais pas. Je relâche le rideau et en un instant sa silhouette ne m'est plus visible.

- On mange.

Je sursaute en voyant Marc sur le seuil de la porte. Je descends les deux premières marches mais lui entre dans sa chambre sans doute pour vérifier ce que j'observais au travers le verre de la fenêtre. Pour faciliter les choses j'espère que Eden n'est plus là.

Nos âmes briséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant