Nos âmes brisées

Chapitre 34: Neige teinté

Eden

" Elle est la beauté éternelle, une fleur au passé cruel, un sentiment immortel. Je suis entièrement à elle, elle a su raviver mon étincelle."

Anna est en train de dessiner avec ses écouteurs, quant à moi je suis dans le salon assis sur le canapé. La nuit est déjà tombée, il est pourtant à peine vingt heures. La neige a recouvert le sol de maintenant quelques centimètres et elle continue de s'amasser peu à peu. Je fixe ma feuille où sont écrites ces quelques lignes qui parlent d'Anna. Je pourrais écrire un album entier sur elle. Je suis déjà à la deuxième chanson où elle est mon merveilleux sujet. Je me précipite vers la casserole quand je vois que l'eau bouillante menace de déborder. J'ai à peine le temps de mettre les pâtes dans les assiettes que mon téléphone vibre sur la table.

- Oui?

- Eden c'est moi, me dit Noélie.

- Un problème?

- Non rien de grave je suis en train de remplir les papiers pour qu'Anna soit un membre officiel, je veux dire déclarée. Je lui donnerai un papier qu'elle devra signer mais je ne t'appelle pas pour ça, je voulais savoir son nom de famille s'il te plaît j'en ai besoin.

Je réfléchis un instant mais en fait, je ne le connais pas.

- Je peux te rappeler dans cinq minutes?

- Oui pas de soucis.

Je raccroche et comme si elle avait lu dans mes pensées je la vois débarquer son carnet à la main.

- Notre sapin est vraiment beau, constate-t-elle fière alors que les guirlandes électriques sont allumées. Tu écrivais?

- Ouais un texte magnifique.

- Magnifique? Répète-t-elle en haussant un sourcil.

- Le nom qu'elle portera aussi est magnifique. La chanson s'appellera Anna.

Son visage s'attendrit alors que je mets une de ses mèches derrière son oreille.

- Noélie est en train de remplir les papiers pour que tu sois déclarée officiellement dans notre équipe.

- Je dois signer quelque chose?

- Oui mais je n'ai pas la feuille là tout de suite par contre elle vient de m'appeler car elle a besoin de ton nom de famille que d'ailleurs je ne connais pas.

- Walter.

- Comment?

- Walter.

J'ai mal entendu, n'est ce pas?

- Walter? Demandais-je encore une fois soudain vidé de mes forces.

- Oui. Pourquoi tu fais cette tête, ça ne va pas?

L'enfant que j'ai tant haï, l'enfant qui a pris ma place, qui a eu l'amour dont j'avais été privé, cet enfant se tient devant moi. C'est elle. C'est elle. C'est elle. Elle s'approche de moi et met sa main sur mon épaule. Son toucher me fait alors l'effet d'une brûlure acide. Je recule contre le mur mais elle continue de s'approcher.

- Ne me touche pas! M'écriais-je en saisissant son poignet.

Son regard s'intensifie et ses bras retombent le long de son corps.

- Eden..

- Tais toi!

Je n'arrive plus à penser calmement. Depuis tout ce temps, c'est elle qui vivait la vie que je désirais, avec une mère, et un père, mon père, du moins celui qui m'a élevé.

"Devient célèbre Eden, devient aimé, il faut que tout le monde t'aime, soit aimé par le monde entier et je suis sûr que cela comblera l'amour que je n'arrive pas à te donner."

Non, je n'y arrive pas. Je n'y arrive pas et encore moins quand je pense qu'elle a reçu ton amour papa.

- Tout ce temps, commençais-je, tout ce temps quand moi il n'arrivait pas à me donner rien qu'un peu d'amour toi il t'en comblait.

Mon ton est plein de reproches. Mon ventre est noué, mes muscles sont tendus et mon cœur bat si vite qu'il m'est douloureux.

- C'est toi! C'est toi l'enfant qu'il rejoignait tous les jours, qu'il chérissait, c'est toi l'enfant qui m'a remplacé!

Anna, rien que son prénom me donne maintenant la nausée. Elle me regarde stupéfaite.

- Eden..je, je ne savais pas..

- Et quand il recevait des lettres remplies de mots désespérés, là non plus tu ne savais pas? Quand il a dû s'absenter le soir de noël, pour toi c'était une absence de quelques minutes et pour moi la fin de notre relation..

Je n'arrive même pas à la regarder en face sans que le sentiment de dégoût ne s'accentue.

- Ton père..

Je m'arrête nette plaquant ma main sur ma bouche. Il est mort. Il est mort, plus jamais, plus jamais je ne le retrouverais. Plus jamais..

- Eden on est plus fort que ça je t'en prie écoutes moi! Pleure-t-elle.

- Fiches le camps.

Elle reste plantée devant moi alors je répète plus fort:

- Casses toi d'ici! Barres toi!

Lentement je m'assois sur une chaise. Je m'attends à ce que la porte claque violemment mais elle ne fait aucun bruit. Tout se bouscule dans ma tête.

"Je n'y arrive pas Eleanor. J'ai essayé mais plus il grandit plus il lui ressemble et je déteste ça."

"- Et si ce n'est pas le cas?

- Alors je nouerais le mien au tien une infinité de fois pour qu'on se rencontre et reste ensemble tout le long."

"Ils se sont pendus. Dans mon salon. Sous mes yeux."

Non, Anna n'y est pour rien putain! Elle aussi à souffert, beaucoup souffert. Elle l'a vu se pendre sous ses yeux. Il est mort, ça m'est douloureux, mais à elle aussi.

Putain!

Je cours vers la porte et descends les escaliers le plus vite possible. J'ai encore une chance de la rattraper. Je traverse le hall en courant jusqu'à la porte de l'immeuble au bout de ce tapis dont la couleur est bleue , il me semble. Au lieu de continuer de courir je me fige mon regard accroché à elle, au sol.

- Anna?

Dites moi qu'elle a seulement trébuché. C'est ça, n'est ce pas? Est ce que la neige se teinte en rouge quand on trébuche?

- Anna?

Elle ne m'a pas entendu. C'est ça, elle ne m'a simplement pas entendu. Elle a juste trébuché.