De feu et de glace

Chapitre 18

Ingrid

Je n'arrive pas à y croire. Sven a vidé tout le ballon d'eau chaude. Les narines dilatées, j'expire bruyamment pour évacuer ma colère, fâchée contre lui. Je me réjouissais tant pour cette douche salvatrice... et me voilà en train de trembler sous le jet d'eau glacé.

Il faut que je me calme. Je ne sais pas pourquoi je suis à fleur de peau comme ça. Enfin si, je le sais. Mais il me reste encore deux jours de voyage à passer en compagnie de la personne qui m'a mise dans cet état, alors il faut que je garde mon sang froid.

En me lavant les cheveux pour ôter les dernières traces de sang dues à ma blessure, je repense au comportement de Sven. Ce qu'il s'est passé dans l'ascenseur — ou plutôt ce qui a failli se produire — l'a induit en erreur à propos de mes intentions. Croit-il qu'il suffit de se promener sous mon nez avec ses belles fesses incroyablement musclées pour que je lui saute dessus ? Je ne suis pas une de ces guerrières au bouclier à la libido débordante qu'on peut impressionner avec une grosse épée, un skalar et un titre de jarl.

C'est vrai que l'idée de prendre du bon temps avec lui m'a traversé l'esprit. Mais, Sven m'a prise au dépourvu. Je ne m'attendais pas à un éventuel rapprochement de cette façon. Comme si nous étions des animaux en rut. Comme si nous étions des Vikings....

Le regret s'immisce en moi. Peut-être qu'à l'époque de Sven, c'est tout à fait normal de ne pas tourner autour du pot ? J'ai envie de lui. Il a envie de moi. On copule. Point barre. Il a raison sur un point. En 2018, les rapports humains sont bien complexes.

En regagnant la chambre à coucher, je surprends Sven absorbé par un match de football disputé à la télévision. J'ai bien fait de l'allumer avant de partir. Cette vision me fait sourire.

— Tu comprends les règles ? je le taquine.

Le regard qu'il me lance est tranchant comme l'acier. J'hausse un sourcil. Ainsi donc, il est susceptible et rancunier. Comme Lucas. Des frissons recouvrent mes bras.

— Je vais sortir Odin avant de lui donner à manger. Je n'en ai pas pour très longtemps, je lance sur le pas de la porte, d'une voix mal assurée.

Pas de réponse. J'ai l'habitude d'être ignorée, même si cela ne signifie pas pour autant que ça me fasse plaisir. Peinée par la tournure que prend cette soirée, je tourne les talons avec Odin sans demander mon reste. Si Sven s'imagine que je vais m'excuser, il se trompe lourdement. J'ai passé assez de temps à le faire avec Lucas sans raison. Cette époque de ma vie est derrière moi. Ces deux années de calvaire sont révolues. Il est hors de question que je replonge alors que je suis encore en train de nager pour regagner la surface.

Odin jappe, heureux de pouvoir se dégourdir les pattes, malgré sa blessure. Il n'a pas l'habitude de passer des heures en voiture. Par chance, l'hôtel où nous logeons se trouve à côté d'un très beau parc arboré ; le Maschpark. Nous croisons quelques promeneurs, tantôt à vélo tantôt en train de courir autour du lac qui entoure le coin de nature. Le soleil est en train de se coucher. Ses rayons chatoyants colorent la façade de la nouvelle mairie qu'on aperçoit en arrière-plan.

Je chasse du pouce une larme de joie qui roule sur ma joue. C'est le premier crépuscule de ma nouvelle vie.

En revenant sur mes pas avec Odin, mon regard est happé par une enseigne lumineuse de l'autre côté de la rue. Un salon de coiffure. Je traverse la route et me plante devant la porte d'entrée pour découvrir les horaires d'ouvertures. Il est ouvert dès huit heures demain. Un signe du destin.

Quand j'ai découvert un peu plus tôt dans la journée mon portrait dans le journal, j'ai compris que je devais changer radicalement d'apparence si je voulais éviter d'être reconnue et retrouvée. Dans toutes les stations de service, il y a des caméras dont les images peuvent être consultés par les forces de l'ordre. À chaque fois que je m'arrête pour faire le plein d'essence, un tour au petit coin, une course à la supérette, je prends un risque.