Chapitre 9

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Sven

Hagard, je regarde ce petit bout de femme gesticuler dans tous les sens en me demandant si Odin n'est pas en train de me faire une mauvaise blague. Est-ce donc à cela que ressemble le Valhalla ? De la pluie, du vent, une inconnue haute comme trois pommes et un étrange loup qui ne m'attaque pas ? Ce n'est pas vraiment l'idée que je me faisais du paradis.

J'essaie de rassembler les idées éparpillées dans ma tête, mais tout est confus. Je ne sais pas si je suis dans le monde réel ou dans celui des dieux. Je scrute les environs pour comprendre où je me trouve, mais il fait nuit et la femme devant moi m'aveugle avec un étrange objet inconnu. Comment elle fait pour éclairer ainsi la nuit ? Serait-ce une prêtresse ? Une sorcière ? C'est bien la première fois que j'en vois une dans un tel accoutrement. Elle parle, et je prie au fond de moi pour qu'elle ne soit pas en train de me jeter un sort. Aucun mot qui émane de ses lèvres charnues ne m'est familier.

Elle tend sa minuscule main vers moi pour me saluer, mais je préfère rester sur mes gardes. J'ai eu mon lot de femme folle à lier pour la soirée. Ma poigne se resserre davantage sur mon épée. L'arme, tangible, me rassure. Si je sens le métal de la lame entre mes doigts, ce n'est pas un rêve que je suis en train de vivre, non ? J'essaie de rester impassible pour ne pas lui montrer à quel point je suis déboussolé, mais en réalité, c'est tout le contraire.

Soudain, je reconnais ses mots. Un soulagement ! Une Suédoise. Jamais, je n'aurais deviné qu'elle est originaire du pays voisin du mien. D'habitude, celles que je rencontre sont grandes, fortes et blondes. Tout le contraire du petit moineau blessé aux cheveux de jais qui se tient face à moi. Nos langues maternelles se ressemblent même si elles ne sont pas identiques. Avec quelques efforts, nous devrions réussir à nous comprendre. La suédoise va pouvoir m'aider à comprendre où je me trouve et m'expliquer comment faire pour rentrer chez moi.

Je remarque seulement maintenant que la pauvre grelotte de froid. Elle est trempée jusqu'aux os, et blessée d'après ce que je vois.

— Mets-toi à l'abri, je lui propose en désignant le temple. Je vais chercher du bois pour faire du feu et te réchauffer.

Elle me fixe en silence, avant de plonger son regard dans les yeux perçants du loup, comme si elle cherchait l'approbation de l'animal sauvage. Puis, sans crier gare, ce dernier se couche à mes pieds. Je n'en crois pas mes yeux. Ingrid non plus si j'en crois son air effaré.

— Merci Sven, me répond-elle avec un sourire timide aux lèvres.

Je l'observe se débarrasser de son énorme paquetage, s'avancer et ensuite s'assoir aux côtés du loup. Elle a l'air plus mal à l'aise de par ma présence qu'à cause de celle de la bête. Pourtant, de nous deux, c'est bien lui le plus dangereux !

La pluie tombe sur mon visage tandis que je m'éloigne de la bâtisse en ruine. Sur mes gardes, je marche dans l'obscurité pour trouver des branches afin d'allumer un brasier. Accroupi, les bras chargés de bois, je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule et vois la tête d'Ingrid posée contre le flanc du loup. Des frissons parcourent mon corps. Qui d'autre agirait de la sorte, si ce n'est... une prêtresse ?

Lorsque je reviens, Ingrid se redresse, le dos bien droit en me voyant. Je ne lui inspire pas confiance. Elle m'aide à faire un tas avec les bûches au centre du temple, et me regarde essayer d'obtenir une étincelle avec les cailloux que je frotte entre mes mains, sans succès.

— Attends, je dois avoir un briquet quelque part, elle m'explique en fouillant dans son étrange sac.

Je l'observe grommeler en plongeant sa main dans le paquetage. Elle en ressort victorieuse, un minuscule objet rectangulaire que je n'ai jamais vu de ma vie. Une invention suédoise sans doute. Ingrid saisit ensuite de son pantalon, un carré de tissu, puis s'approche du brasier, frotte son pouce contre cette chose qu'elle appelle briquet, et réussit à enflammer ce qu'elle tient en main. Quelques instants plus tard, le feu prend, malgré l'humidité ambiante. La chair de poule recouvre mes bras. Je n'en reviens pas. Il faut que j'agisse, et vite !

De feu et de glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant