I
Chapitre 1
Ingrid
Avril 2018, Schirmeck, Alsace
Penchée au-dessus de la cuvette des toilettes, les yeux fermés, mon estomac déverse le maigre contenu de mon petit-déjeuner. Les larmes roulent le long de mes joues, je tremble de la tête aux pieds en pensant à qui m'attend ce week-end.
Je tire la chasse d'eau en regardant ma peur disparaître dans le siphon, puis me retourne et scrute mon reflet dans le miroir ébréché accroché au-dessus du lavabo. Des joues creuses, le teint cireux, et ce regard vide... Je ne me reconnais plus. Fébrile, je serre dans ma main la pierre de lune accrochée autour de mon cou pour me réconforter. Un cadeau offert par ma mère lorsque j'étais toute petite et qui ne me quitte depuis, jamais.
Je me passe la tête sous l'eau afin de me rafraîchir et retrouver une certaine contenance. Il ne manquerait plus qu'un client vienne en dernière minute et me voit dans cet état. En sortant des toilettes, je jette un œil dans le magasin pour vérifier qu'il n'y ait personne.
Les mains tremblantes, j'arrange une dernière fois dans ma boutique, les lys blancs dans leurs vases transparents, et trempe les orchidées dans un peu d'eau pour les hydrater. Je sais ce que je suis en train de faire : gagner du temps. Je n'ai pas envie de quitter cet endroit.
La boule au ventre, j'éteins toutes les lumières et soupire en descendant la lourde grille de mon échoppe. Le samedi est le jour de la semaine où mon chiffre d'affaires est le plus conséquent : fermer plus tôt aujourd'hui représente une perte non négligeable dans ma trésorerie. La fin du mois risque d'être compliquée pour la fleuriste à mon compte que je suis.
Avant de partir, je me retourne une dernière fois pour observer fièrement la devanture de mon magasin décorée à mon image. Un discret sourire nait sur mon visage en admirant mon travail. Des plants de bergamote sont posés sur des rondins de bouleau, tandis que du lierre grimpe tout autour de la vitre. Le tout est mis en valeur par des bégonias colorés pour détonner avec la sobriété du cadre. Simple et naturel. Tout comme moi.
Perdue dans ma contemplation, je sursaute lorsque Odin, mon chien loup, gémit contre ma jambe.
— Toi aussi, tu n'as pas envie de partir d'ici, hein ? je lui dis à voix haute en caressant le sommet de son crâne.
Un sourire m'échappe lorsqu'il ferme les yeux entre deux gratouilles. C'est simple, depuis le jour où je l'ai recueilli nous sommes inséparables. Il passe ses journées à mes côtés dans la boutique, m'accompagne lorsque je cherche ma baguette de pain et même quand je vais poster mon courrier.
Les mains dans les poches, je traîne des pieds jusqu'à chez moi. Je n'ai aucune envie de rentrer, encore moins de voir Lucas, mon petit ami. Depuis un an, nous vivons ensemble dans une maisonnette que nous louons à la sortie du village. Aujourd'hui, il ne se passe plus un jour sans que je ne regrette ma décision d'avoir emménagé avec lui.
Lucas avait décidé en dernière minute de m'emmener en week-end romantique pour se faire pardonner de ce qu'il m'avait fait jeudi. Comme si je pouvais oublier qu'il m'avait hurlé dessus et traité de sale pute sous prétexte d'avoir oublié de chercher son uniforme au pressing...
La simple pensée d'être enfermée vingt-quatre heures dans une chambre avec lui me rend littéralement malade. Mais entre nous c'est ainsi. Lucas ordonne, moi j'exécute. Si je refuse d'obéir, il trouve tôt ou tard un moyen de me le fait payer. Critiquer, culpabiliser, rabaisser, ce sont ses spécialités.
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De feu et de glace
RomansaIngrid aurait dû se méfier de Lucas. Elle savait que les hommes manient avec dextérité le langage de l'amour. Pourtant, jamais elle n'aurait cru qu'en acceptant le verre de Lucas ce soir-là dans ce bar, sa vie volerait en éclat. Deux ans plus tard...