Chapitre 26

21 6 2
                                    

Ingrid

La tentation de laisser Sven découvrir à table, le régime végétarien de ma mère, était trop grande pour laisser filer l'occasion de le voir se décomposer. Le sourire aux lèvres et tisane à la main, je me mords la lèvre pour m'empêcher de rire en me repassant le film du dîner.

Sven tend le bras pour voler le dernier biscuit sur le présentoir à gâteaux. D'un discret coup de pied, j'essaie d'attirer son attention. Il vient de s'enfiler si vite la boite de sablés prévus en guise de dessert, que je n'ai même pas eu le temps d'en prendre un seul. Perplexe, il arque un sourcil interrogateur dans ma direction. Ma mère assiste à nos échanges silencieux sans vraiment comprendre ce qu'il se passe. Et pour cause. Sven non plus ne saisit pas ma discrète, et surtout veine tentative, de lui expliquer qu'on ne dévore pas tout ce que son hôte pose sur la table comme s'il était tout seul...

Sven se tape le front du plat de la main, avant de secouer la tête.

Ah enfin.

Il s'empare du dernier biscuit, puis le casse en deux.

— Est-ce que l'une d'entre vous souhaite le partager avec moi ?

Ma mère explose de rire, tandis je me masse, les paupières closes, les tempes du bout des doigts. Sven me désespère. Ce n'est pas faute d'avoir révisé avec lui les règles de politesse du futur pendant notre périple en voiture. Je me note mentalement de programmer quelques séances de révision durant les jours à venir.

— Sven, vous pouvez le manger, le rassure ma mère.

Il n'en faut pas plus au viking pour dévorer le minuscule bout de gâteau. Des miettes tombent au passage dans sa barbe. Je pouffe, le visage caché derrière ma tasse de verveine.

— Vous êtes un homme si rafraichissant ! s'extasie ma mère, entre deux éclats de rire. Je veux dire par là, que vous ne vous vous embarrasser des convenances. J'aime les gens spontanés. Et je suis ravie qu'Ingrid...

Je me racle la gorge pour mettre sa dernière phrase en suspens. Le rouge me monte aux joues en me remémorant le baiser qu'elle nous a vu échangé avec Sven tout à l'heure. Je n'en reviens pas de m'être laissée ainsi portée à de telles effusions au bout milieu de la rue, et surtout de la folle envie de continuer qui m'a submergé malgré la présence des passants autour de nous.

Je range ce délicieux souvenir dans un coin de mon esprit et change de sujet avant que cela devienne trop embarrassant.

— Est-ce que tu as des nouvelles de Nils ? j'interroge cette dernière, la boule au ventre.

Nils est mon cousin, et surtout mon meilleur ami. Depuis notre plus jeune âge, nous sommes très proches malgré le fait que nos familles respectives vivaient dans deux pays différents. Nous passions toutes nos grandes vacances ensemble, lorsque ma mère rendait visite à sa sœur ainée. Il est comme le frère que je n'ai jamais eu, et c'est réciproque, ma tante n'ayant eu qu'un enfant.

— Tu ne vas pas le croire, il est devenu propriétaire du cabaret !

La nouvelle me fait chaud au cœur. Et pour cause, mon cousin travaille dans cet endroit depuis sa majorité. Il n'y a pas un jour où il n'est pas dans son QG comme il l'aime l'appeler, tantôt sous les feux des projecteurs, tantôt en salle pour donner un coup de main pendant le rush du week-end.

— C'est merveilleux, je m'exclame avec toutefois une pointe de tristesse dans la voix. Il a travaillé si dur pour en arriver là...

Une bouffée de tristesse m'envahit. Je me souviens parfaitement de la dernière fois où je l'ai vu sur scène. Ses yeux pétillaient de bonheur, alors qu'il entamait les premières notes de Beautiful de Christina Aguilera. Nils est un showman. Il n'y a que dans la peau de son personnage qu'il se sent dans son élément.

De feu et de glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant