Chapitre 38

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Ingrid

Mes yeux ne cessent de papillonner à cause de la brûlure sous mes paupières. Un timide sourire aux lèvres, j'acquiesce sans grande conviction à chaque parole prononcée par Hilda, la mère de Sven. Le dos tourné, il m'est impossible de chercher mon fiancé du regard pour qu'il vienne à ma rescousse.

— Vous savez, être la femme d'un grand jarl implique de grandes responsabilités.

— Je vous crois.

Un nœud se forme au creux de mon estomac devant la profonde conviction d'Hilda de réussir à persuader son fils de ne plus quitter la péninsule du Jutland. La culpabilité m'envahit. Comment Sven va-t-il lui expliquer ce qu'il compte faire à la prochaine pleine lune ?

— Vous devrez à la fois tenir votre skalar, garder de bonnes relations avec les clans voisins...

Perdue dans mes pensées, je ne l'écoute plus. Le cerveau en ébullition, je me demande ce qui a bien pu mettre Sven dans une telle colère au point qu'il hurle sur Folker. Sortir de ses gongs ne lui ressemble pas. Rongée par la curiosité, je n'ai qu'une envie : le rejoindre. Seulement, je doute pouvoir prendre congé aussi facilement auprès d'Hilda sans risquer de m'attirer son courroux. Mal à l'aise, je baille volontairement pour rappeler à Hilda que son fils et moi sommes arrivés au beau milieu de la nuit et que je suis éreintée.

— Oh, que je suis confuse, vous devez être morte de fatigue après ce long voyage.

— Oui, en effet.

— Vous ne souhaitez pas assister à notre réunion ?

Confuse, je serre les poings. Cela m'était complètement sorti de la tête.

— Vous ne m'en voulez pas si je vous laisse vous entretenir tous les quatre sans moi ? Je ne doute pas que Sven me racontera ce que j'ai besoin de savoir demain matin.

— Comme il vous convient.

— Il y a un renfoncement inoccupé de ce côté-ci de la grotte, je vais vous montrer le chemin. On ne voit plus grand-chose avec les quelques flammèches qui subsistent du brasier.

Je la remercie pour sa gentillesse et la suit d'un pas hésitant en trébuchant à plusieurs reprises. Plus nous nous enfonçons dans l'abri, plus l'odeur des latrines de fortune improvisées au fond de la grotte s'intensifie. Je tousse en réprimant en haut le cœur, en m'obligeant à respirer par la bouche pour ne pas vomir.

— Vous verrez, Ingrid. En temps de guerre, on s'habitue à tout. Voilà, c'est ici, m'annonce-t-elle en s'arrêtant.

Je jette des coups d'œil de tous les côtés avant de fixer mon attention sur un tas de feuilles posé à même le sol. Avec embarras, je mets quelques instants à comprendre que c'est à même la terre poussiéreuse que je vais devoir tenter de me reposer.

— Est-ce que ça ira ?

— Bien sûr.

Je m'assieds, les pieds en compote, et porte les doigts à ma bouche pour souffler sur mes mains glacées afin de les réchauffer. Les yeux rivés sur mes chaussures détrempées par l'averse à Stockholm, je me rends compte qu'Hilda est immobile et les fixe aussi. Elle n'est pas dupe. Elle doit se demander d'où proviennent mes vêtements. Ma seule chance de m'en sortir est de lui expliquer que les baskets sont typiques de la Germanie, en espérant qu'elle n'y ait jamais mis les pieds de sa vie. Dans le doute, je m'abstiens. Sven et moi devons absolument coordonner nos versions si nous voulons réussir à donner le change jusqu'à notre départ.

De feu et de glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant