Chapitre 11

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Sven

Je regarde Ingrid dormir paisiblement, m'étonnant de la facilité avec laquelle elle est tombée dans les bras de Morphée. À chaque fois que je me lève pour me dégourdir les jambes ou ravitailler le feu en bois, le loup ouvre ses yeux perçants et me scrute. C'est assez déstabilisant qu'une bête de son espèce n'essaie pas de m'attaquer.

Dans les forêts environnantes de Jelling, soit ils sont craintifs et on les remarque à peine, soit ils ont faim... et c'est à ce moment-là qu'ils sont le plus dangereux. Je souris en me rappelant le magnifique manteau en pelage de loup que j'ai... enfin que je possédais dans mon skalar. Il vaut mieux que je ne partage pas cette information avec Ingrid. Je ne suis pas certain que l'ironie de la situation l'amuse autant que moi.

La petite Suédoise me fait de la peine à voir. Elle a réussi tant bien que mal à se fabriquer un bandage de fortune avec un vêtement sorti de son paquetage, mais la blessure semble plus importante qu'elle n'y paraît, si j'en crois la quantité de sang imbibée dans le tissu.

Depuis qu'Ingrid m'a avoué la date du jour, je n'attends qu'une chose : que le soleil se lève pour voir si elle ne m'a pas menti. Je veux savoir à quoi ressemble ce fameux futur. Ingrid m'a appris que les jarls n'existent plus dans nos pays. Ni au Danemark, ni en Suède. Même en Francie il n'y a plus de roi. Ils appellent ça un président maintenant, et le plus fou c'est que les gens votent pour le choisir.

C'est une curieuse sensation de savoir que je suis mort et que mon nom ne signifie plus rien. Tous ces sacrifies, l'héritage de mon père... disparus à jamais. Sans but, sans terres, quel est le destin que me réserve les dieux à présent ? Ils ne m'ont jamais mis autant à l'épreuve qu'aujourd'hui.

Les paroles du devin repassent en boucle dans ma tête. Cette histoire de destinée et de lune me laisse perplexe. Se pourrait-il qu'il faisait allusion à la pierre que porte Ingrid autour de son cou ? Serait-ce la clé pour rentrer à Jelling et revenir en 870 ? Si tel est le cas, de quelle façon pourrais-je m'en servir ? Peut-être en retournant au temple, et en retouchant la statuette ? Encore faudrait-il qu'elle se trouve encore là-bas malgré les siècles qui se sont écoulés... Je dois réussir à rentrer. Il le faut. La menace ennemie est aux portes de ma ville. Sans moi, mon peuple est perdu et voué à se soumettre au jouc de mon oncle.

Grâce au clair de lune, je distingue la cime des arbres : il n'y a que des sapins à perte de vue. Savoir que cette forêt ressemble à celles qu'on trouve dans la péninsule du Jutland me rassure, d'une certaine façon. Si je ferme les yeux et me concentre sur l'odeur des pins transportée par le vent, je pourrais presque croire que je m'y trouve en ce moment-même. Que je suis aux côtés d'Erik.

Mes tripes se nouent en repensant à mon neveu. Si jeune et déjà parti. Ma seule consolation est de savoir qu'il a rejoint ses défunts parents dans le royaume des morts. Ils sont enfin réunis telle qu'une famille devrait l'être. Je me demande qui l'a découvert inerte ? Est-ce que ma mère est déjà informée de sa mort ? Qui s'occupe de ses funérailles ? Autant d'interrogations auxquelles je n'aurais pas de réponses.

Les premières lueurs de l'aube se dessinent à l'horizon. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit, trop anxieux à l'idée de découvrir l'endroit où je me suis réveillé au beau milieu de la nuit en sursaut. Pour l'instant, je dois avouer que le panorama est de toute beauté. Une montagne et des monts vallonnés à perte de vue. Je prends un peu de recul pour admirer le temple sous lequel j'ai monté la garde ces dernières heures. Il est en ruine mais je suis persuadé qu'il occupait une place importante pour d'autres peuples, comme c'était le cas pour le mien.

Je crois aux signes, et si les dieux ont décidé de m'envoyer ici, ce doit être pour une bonne raison. Il ne me reste plus qu'à trouver laquelle.

Ingrid s'étire en émettant d'adorables petits sons qui me font sourire. Son loup est lui aussi réveillé, et ne la quitte pas d'une semelle, le regard fixé sur moi. Elle se frotte les yeux, puis porte sa main à son bandage de fortune en réprimant une grimace. Le sang séché s'est collé à sa tignasse ébouriffée et a coulé sur sa tenue. Il y en partout. Si elle ne portait pas de chaussures aux pieds, je la prendrais pour une mendiante.

De feu et de glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant