Chapitre 43

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Sven

Depuis notre arrivée, j'observe avec attention les regards curieux des villageois sur les fleurs blanches posées à terre. L'odeur fleurie du muguet se répand dans l'air et atténue dans son sillage, les effluves nauséabondes résultant de plusieurs semaines de besoins naturels faits au même endroit.

Adossé contre la paroi rocheuse, je profite de ma position pour scruter la réaction de chaque homme à la découverte du muguet aligné au sol. Certains passent devant sans y prêter attention, tandis que d'autres n'hésitent pas à aller voir Folker ou Egil en espérant satisfaire leur curiosité. Ce sont ces personnes-là qui m'intéressent. Ceux que nous devons surveiller.

Peu avant notre retour d'expédition, nous nous sommes tous les quatre mis d'accord pour garder nos véritables intentions secrètes. S'il y a bel et bien un loup parmi nous, nous ne pouvons prendre le risque que notre ruse tombe à l'eau.

Ingrid pose sa tête sur mon épaule, ses lèvres effleurent mon oreille.

— Comment comptes-tu t'y prendre ? susurre-t-elle.

Mon regard balaie les alentours pour m'assurer que nous pouvons parler en toute discrétion. La plupart des réfugiés sont déjà endormis sur leurs maigres couches de fortune.

— Je vais suivre Torve, de jour comme de nuit.

Le front plissé, Ingrid s'éloigne et lève le menton dans ma direction.

— Pourquoi crois-tu que ce soit elle ?

Les poings serrés autour de ma gamelle, je me remémore avec douleur les affres de mon passé. Le doux visage de ma servante, sa bonté durant tout ce temps passé à mon service, et surtout... l'ignoble meurtre qu'elle a commis. Le rire cristallin de mon jeune neveu résonne encore dans mon esprit. S'il y a bien une leçon que j'ai tiré de ce tragique évènement, c'est de me méfier des femmes trop gentilles... comme c'est le cas de Torve depuis notre arrivée la nuit dernière.

— Une intuition...

Ingrid pouffe en secouant la tête.

— C'est un peu léger pour en déduire que c'est elle, l'espionne de ton oncle, non ? Imagine que tu te trompes. Plus personne ne lui fera confiance.

La mâchoire contractée, je pose mon bol par terre et fait craquer un à un mes doigts. Le regard dans le vague, je pousse un long soupir avant de répondre.

— Elle n'est pas inquiète comme les autres le sont, à l'idée d'avoir un proche captif à Jelling. Elle est trop... sereine. Comme si ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle retrouve son père. Je ne sais pas si tu l'as remarqué, mais depuis que nous sommes assis près du feu, elle est déjà allée voir trois fois le muguet. Elle marche de long en large devant les fleurs, l'air innocent, feignant de chercher quelque chose, d'aller voir quelqu'un, mais en fait, ce sont les brins qui l'intéressent. De plus, ce matin, je l'ai trouvé différente de d'habitude. Trop souriante, trop lisse... Ce n'est pas son genre.

— Je vois ce que tu veux dire. Lucas se comportait de la même façon. C'était sa façon à lui de dissimuler sa véritable nature.

Je me rapproche un peu plus d'Ingrid, pose ma main devant ma bouche pour lui raconter à voix basse la raison pour laquelle Torve est seule, ici.

— Il faut savoir qu'elle est quand même connue dans tout Jelling pour avoir coupé...tu sais quoi à son mari, avec l'un des couteaux de boucher de son père, il y a quelques années de cela.

De feu et de glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant