De feu et de glace

Chapitre 12

Ingrid

Fébrile, je reste suspendue aux lèvres de Sven en attendant sa réponse. Ma proposition me paraît tout à fait correcte. Un échange de bon procédé sans aucune ambiguïté. Je peux le rapprocher de Jelling en échange de sa protection... et de son aide pour porter Odin jusqu'au prochain village, mais ça, il ne le sait pas encore. J'y ai pensé une bonne partie de la nuit, alors que le Viking me croyait endormie. Sven doit se rendre à l'évidence : il a besoin de moi. Il le sait. Et de mon côté, je suis terrorisée à l'idée que Lucas me retrouve et me fasse payer cher... très cher mon envie de liberté.

Je profite de l'aube pour observer Sven. Je n'ai aucun doute quant au fait qu'il impressionnera Lucas. Qui ne serait pas intimidé devant son imposante stature ? Peut-être que je suis complètement folle de demander à un homme sorti de nulle part de me protéger de mon ex. Qui sait ce que Sven serait capable de faire ? Sortir son épée, l'embrocher comme un poulet rôti et le tuer ?

Sven met du temps à me donner une réponse. Pourtant, je lui ai bien expliqué qu'il ne peut pas traverser l'Europe à dos de cheval sans argent, ni sans manquer de se faire remarquer. J'ose à peine imaginer la scène. Qui pourrait croire à son voyage temporel ? Même moi, je continue de penser qu'il joue son rôle à la perfection. Il ne reste plus qu'à savoir lequel. Celui d'un comédien qui s'est glissé dans la peau de son personnage pour s'entraîner ? Ou celui d'un homme qui souffre de troubles mentaux et qui s'imagine réellement être un Viking.

En le scrutant tout à l'heure renifler l'emballage des barres de céréales, je me suis dit qu'il était vraiment doué. Ou vraiment malade.

— Qu'en dis-tu Sven ? je lui demande impatiente, l'estomac noué.

Le temps presse. Il faut que j'avance avant que Lucas parvienne à me retrouver. Si ça se trouve, une battue est déjà organisée en forêt et ce n'est plus qu'une question d'heures avant que lui ou l'un de ses collègues me retrouve.

— Qu'en dis-tu Sven ? je lui demande impatiente, l'estomac noué.

— Je ne suis plus jarl machin chose maintenant que tu as besoin de moi ?

Le rouge me monte aux joues. Je devrais peut-être refreiner mon humour qui ne semble pas vraiment à son goût. En sa présence, je ne possède aucun filtre et me sens redevenir moi-même, comme celle que j'étais avant de rencontrer Lucas. Pour la première fois depuis bien longtemps, je n'ai pas peur de me faire insultée lorsque je parle Et ça fait tellement de bien ! Le viking remarque le changement d'atmosphère entre nous, et reprend la parole.

— Ingrid, j'accepte ton marché, conclut-il un sourire aux lèvres. Je t'accompagne jusqu'en Suède et assurerai en contrepartie ta protection jusqu'à là-bas.

Sven me tend la main pour sceller notre accord. Méfiante, j'approche la mienne, et la regarde disparaître dans sa large paume. Elle est chaude, son contact est agréable. Je me surprends à faire durer cette poignée plus que de nécessaire. Depuis combien de temps un homme ne m'avait pas tenu la main ? Bien longtemps. Trop longtemps. Perdue dans mes pensées, je remarque à peine que Sven recule, rompant ainsi notre contact. Je me redresse et m'éclaircit la voix pour dissiper ma gêne.

— Il se pourrait que j'aie oublié de mentionner un léger détail... je bredouille. Comme tu as pu le voir, Odin est blessé. Je ne pense pas que ça soit très grave, mais est-ce que tu voudrais bien le porter jusqu'au prochain village ? J'aimerais qu'il repose sa patte afin d'éviter que ça ne s'aggrave.

— Tu es sérieuse ? Ce n'est qu'un animal, qui plus est, sauvage. À mon époque, on l'aurait élimi...

— C'est bon ! je le coupe, agacée. J'ai compris. Je vais m'en charger. Est-ce que tu peux prendre le sac par contre ? Il faut que nous nous arrêtions en chemin à ma voiture. Je crois avoir une trousse de secours dans ma boîte à gants et j'aimerais vérifier si j'ai de quoi faire un pansement plus convenable pour ma tête. On ne nous laissera jamais monter à bord d'un train, sinon.