Chapitre 21

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Sven

Je mords dans ce qu'Ingrid appelle un sandwich, les lèvres retroussées vers le bas. Je le déclare haut et fort, je déteste les sandwichs. C'est insipide, fade et sans goût. C'est encore pire que de la viande séchée qu'on aurait oublié dans le garde-manger pendant plusieurs années. La bouche ouverte, je mâche sans grande conviction en imaginant dévorer à la place les saucisses du petit-déjeuner de l'hôtel.

Les yeux dirigés vers l'horizon, je garde une main discrètement accrochée à mon siège. Certes, le petit rond blanc qu'Ingrid m'a ordonné d'avaler m'aide à ne pas vomir, mais je ne suis pas rassuré pour autant.

La mâchoire contractée, je jette un coup d'œil furtif vers la petite suédoise pour vérifier que ses cheveux soient encore là. Elle pourra me dire ce qu'elle veut, je suis persuadé que c'est l'œuvre de la magie, et je n'en démordrai pas. Sinon comment auraient-ils autant poussé en l'espace d'une matinée ? À tout moment, je m'attends à les voir disparaitre aussi vite qu'ils sont apparus.

Ingrid tourne rapidement la tête vers moi en sentant le poids de mon regard sur elle. Pris la main dans le sac, je fais semblant d'observer un point imaginaire devant moi.

— Est-ce qu'il y a un problème ?

— Non, aucun, je réponds laconique.

La discussion s'arrête là. Il n'y a plus aucun bruit dans la voiture, hormis Odin qui continue de ronfler comme un bienheureux derrière moi. Depuis qu'Ingrid est revenue métamorphosée de sa sortie chez le barbier, quelque chose a changé. Dans son regard. Dans son attitude. Et surtout entre nous. C'est comme si ces nouveaux cheveux collés sur sa tête avaient également modifié son caractère et son attitude. Plus de boutades lancées à tout va, d'intonation désinvolte quand elle m'adresse la parole. Non, ce temps-là est définitivement révolu. Je l'ai compris dès l'instant où elle a franchi le seuil de la chambre. Quand j'ai vu cette lueur nouvelle briller dans ses prunelles.

Ingrid espérait susciter mon intérêt avec sa nouvelle apparence. Elle avait envie de me séduire. Et je dois dire qu'elle a bien réussi son coup. Désormais, je n'ai plus qu'une idée en tête : l'entendre gémir de plaisir lorsque je saisirais ses belles boucles blondes à pleine main et passerais ma langue le long de sa gorge diaphane.

— Nous ne devrions plus tarder à arriver, m'annonce-t-elle, d'une voix monocorde.

Absorbé par mes réflexions grivoises, je me raidis sur siège.

— Où ça ?

— À Puttgarden. De là, nous prendrons un bateau pour pouvoir continuer notre voyage. Je te conseille d'essayer de dormir. Nous allons rouler une bonne partie de la nuit pour rattraper notre retard.

— Toi aussi tu dois te reposer. Montre-moi comment utiliser cette charrette, de cette façon, nous pourrons nous relayer.

Ingrid ricane. Apparemment, j'ai encore dit quelque chose de drôle sans le vouloir.

— Impossible, Sven. On ne peut pas conduire une voiture comme ça dans le futur. Il faut prendre des leçons avec un professeur. Et ensuite, passer un test final qui te donne l'autorisation définitive de rouler.

Je pouffe à mon tour en roulant des yeux, les bras croisés sur mon torse.

— Si une femme est capable de manier une charrette dans votre époque, ça ne doit pas être si difficile que ça.

Ingrid me fusille du regard.

— Je préfère ne pas relever ta remarque misogyne.

— Ma quoi ?

De feu et de glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant