Chapitre 2

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Sven

Avril en l'an 870, Jelling, Danemark

L'eau brûlante détend mes muscles mis à rude épreuve pendant les exercices. Je pourrais très bien lever le pied et m'acquitter de tâches plus dignes de mon nouveau rang, mais je n'y parviens pas, c'est plus fort que moi. Mon cœur garde en mémoire l'adrénaline du combat, ma chair, les cicatrices des batailles et ma main tressaute dès que mon regard se pose sur une épée. Je ne peux pas oublier mon passé de guerrier victorieux. Il est ancré à tout jamais en moi, et me manque atrocement chaque jour de ma nouvelle vie.

La tête en arrière, je ferme les yeux afin de me prélasser dans la cuve en bois remplit d'eau chaude, pendant qu'une de mes servantes s'occupe de défaire mes tresses blondes pour les laver. Le contact de ses mains qui massent mon crâne réveille mes plus bas instincts.

— Hmm, je grogne de plaisir.

C'est si bon que je laisse mon esprit vagabonder vers des pensées impures. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai imaginé la prendre sur ma couche...

Toutefois, je prends soin de respecter le vieil adage de mon père : ne pas toucher les domestiques. Astrid est là pour entretenir mon skalar1, préparer mes repas, me coiffer et ça s'arrête là. Même si je sais pertinemment qu'elle espère plus, comme la moitié des filles de la ville en âge d'être données en épouse.

À vingt-cinq ans, je ne me suis pas encore uni à une femme — une hérésie selon ma mère. Elle craint pour l'avenir de nos terres, alors que les dieux ont brutalement rappelé mon père à eux lors d'une partie de chasse qui a mal tourné. Un sanglier blessé l'a chargé en l'éviscérant. Le grand jarl Gudriksson, chef de la péninsule du Jutland, a passé sa vie à batailler pour maintenir la paix sur nos terres, et c'est finalement un animal sauvage qui a eu raison de lui.

Je grommelle en entendant quelqu'un frapper à la porte. N'est-il donc pas possible d'avoir une minute de répit ici ?

— Qui est-ce ? je m'écris d'une voix ferme.

— C'est moi Sven, répond ma mère. Pourrais-tu venir me voir dès que tu as fini s'il te plait ? Il y a certains sujets que je souhaite aborder avec toi.

La mâchoire serrée, je lève les yeux en l'air.

— Oui, oui, je n'y manquerais pas.

J'esquisse un sourire en imaginant ses joues s'empourprer sous l'effet de la colère. Elle souhaite que je m'implique davantage dans les problèmes du quotidien, alors que je n'en ai pas le moins du monde envie. Les comptes des provisions, les querelles entre voisins, ce n'est qu'une perte de temps à mes yeux. J'estime avoir bien mieux à faire, alors que ma mère pense le contraire. Si je n'étais pas là, c'est elle qui régenterait la péninsule, et nous savons pertinemment tous les deux qu'elle se débrouillerait sans aucun doute bien mieux que moi à l'heure actuelle.

— Quand ? insiste-t-elle.

Bon sang, quelle tête de mule ! Les lèvres pincées, j'hésite un instant avant de lui répondre.

— Quand je l'aurais décidé ! je conclus d'une voix ferme.

Horripilé par l'entêtement de ma mère, je me lève brusquement dans mon plus simple apparat. Astrid a tout juste le temps de réprimer un hoquet de surprise. Sans prendre garde, j'éclabousse à grandes eaux le sol de ma chambre.

— Apporte-moi une tenue propre, j'ordonne à ma servante en claquant des doigts.

Elle se raidit avant de se précipiter vers la malle pour en sortir de nouveaux vêtements. Sans boue, sans traces de sang, contrairement à ceux de ce matin. J'enfile ma chemise blanche en lin et mon pantalon, pendant que la jeune servante me coiffe à la hâte. Mes cheveux blonds tombent dans mon dos tandis que les côtés sont rasés pour de ne pas être gêné dans mes mouvements de la vie quotidienne. Des tatouages décorent les parties chauves de ma tête ainsi que mes omoplates et la naissance de mes épaules. Plus les années passent, plus leur nombre grandit. Les runes me protègent, et à chaque nouvelle bataille gagnée, je remercie les dieux pour leur aide en gravant leurs symboles dans ma chair.

De feu et de glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant