Chapitre 37

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Ingrid devient de plus en plus blême à mesure que les villageois viennent la féliciter pour l'heureuse nouvelle. J'aurais peut-être dû la consulter avant d'annoncer à ma mère que j'allais l'épouser... Je sens que je vais passer un sale quart d'heure, mais heureusement pour moi, pas tout de suite, car il n'y aucun recoin d'intimité dans cette grotte pour nous disputer loin des oreilles indiscrètes. Et il est hors de question de faire un esclandre devant ce qu'il reste de mes hommes et des habitants de Jelling. Quelle piètre image de jarl je renverrais en m'abaissant à cela.

La main d'Ingrid tremble au creux de la mienne. Malgré les circonstances, et à mon grand soulagement, elle joue plutôt bien le jeu devant les autres. Son large sourire pourrait presque faire croire qu'elle est sincèrement heureuse et se réjouie de notre mariage à venir.

Ma mère est la dernière personne de la file qui s'est formée après ma prise de parole. Elle s'avance vers Ingrid et moi, la tête haute, malgré son apparence physique qui a tant changé depuis la dernière fois que je l'ai vue. La scène se rejoue avec horreur dans ma tête. Elle, qui entre en panique dans ma chambre, inquiète pour la subite disparition d'Erik et moi, qui lui rétorque d'un ton moqueur qu'elle s'inquiète pour rien. Quel imbécile, je suis.

Ses joues creusées par le manque de nourriture et sa peau sale après des semaines sans un vrai bain me serrent le cœur. Je profite du court moment d'accalmie entre chaque personne pour adresser quelques mots rapides à Ingrid. Deux villageois s'inclinent devant nous en nous adressant tous nos vœux de bonheur avant de faire demi-tour pour regagner leurs couches attribuées dans l'abri. Le menton baissé, je me penche vers Ingrid pour lui faire part ce qui me taraude depuis notre arrivée :

— Et si on les partageait avec eux ?

Elle sourit en comprenant mon allusion à la nourriture que j'ai emporté avec moi. Depuis l'instant où j'ai goûté aux barres de céréales dans les ruines du temple en Francie, c'est devenu mon péché mignon du futur. Ça, et la viande séchée en stick qu'on peut trouver en supermarché. Mais je n'en ai pas ramené de peur d'attirer l'attention des prédateurs qui sortent de leur hibernation à cette période de l'année.

Ingrid pivote dans ma direction, ouvre la bouche mais hésite à me répondre.

— Tu as ramené combien de barres de céréales ? me questionne-t-elle. Une petite dizaine tout au plus, non ?

Je hoche la tête avant de jeter un rapide coup d'œil au petite groupe amassé autour du feu. Il y a au moins une bonne vingtaine de personnes entassés dans cet abri. Je sais d'expérience qu'agiter de la nourriture devant des gens qui meurent de faim pourrait vite dégénérer.

— Au moins pour les enfants ? je tente de négocier. Pour fêter la grande nouvelle.

Ingrid arque un sourcil avant de me donner un coup de coude réprobateur, ce qui n'échappe pas à ma mère, bientôt face à nous. Ma plaisanterie est apparemment encore un peu trop prématurée.

— Et comment expliquerais-tu leur provenance ?

— Si tu veux savoir mon avis, je crois que ça leur est bien égal.

— Fais comme tu veux, conclut-elle d'un haussement d'épaule. Après tout, c'est toi le grand jarl, je ne sais plus quoi. Wilkinson, c'est ça ?

— C'est Gudriksson ! je grogne, vexé par sa méprise volontaire.

Ingrid claque des doigts, puis se frappe le front du plat de la main avant de me lancer un regard plein de malice.

De feu et de glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant