3- Sarah-

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« Maintenant je ne veux plus jamais te revoir, tu m'entends ? Dégage de ma vie ! »

C'étaient les derniers mots qu'ils s'étaient échangés sept ans plus tôt. Ses mots à elle. Elle s'en souvenait comme si le temps écoulé n'avait eu aucun effet sur sa mémoire interne.

Elle pensait avoir été claire cette ultime fois qu'ils s'étaient vu. Lors de leur énième rupture. Ils n'étaient jamais restés éloignés, séparés, aussi longtemps l'un de l'autre. Elle pensait y avoir enfin échappé. Être enfin guérie de lui. Depuis longtemps elle avait arrêté de compter le nombre de leur échec. Mais elle se souvenait de chacun d'entre eux, leur douleur lui avait laissé des milliards de cicatrices aussi invisibles qu'indélébiles. Car aimer c'est ressentir. C'est aussi le propre d'une addiction. Source de plaisir infini et berceau des plus grandes souffrances. Et plus l'amour est fort, intense, charnel, plus la drogue est dure. Plus elle abime.

Sarah avait appris au collège que chaque substance, de la toxine, à la molécule radioactive, possède une durée d'effet connue à l'avance. Une espérance de vie et d'action maitrisée. Elle s'était demandé alors si les émotions, les sentiments amoureux plus particulièrement, étaient eux aussi soumis à une durée limite d'expiration. Elle a depuis obtenue la réponse. Elle l'a appris à ses dépens. Et Sarah sait mieux que personne que la longévité de l'amour, du vrai, du passionnel, connait peu de limite. Pire encore, la demi-vie des flammes jumelles elle, est immortelle. Le temps nécessaire pour que la moitié de sa valeur se désintègre est infinie. Autant dire qu'elle était foutue.

Son histoire, ou plutôt, ses histoires avec Giulian l'avaient fragilisée ; pareille à un minuscule coquillage chahuté dans l'infini d'un océan. Et aussi invraisemblable que cela puisse être, elle en réchappait pus forte à chaque fois. Fidèle au coquillage écrasé, la coquille en miette, sa nacre à l'intérieur elle, en sortait intacte. Sarah avait entendu dans un de ces reportage animalier qu'adoraient ses enfants, que la nacre est produite par son créateur comme un revêtement protecteur. Un bouclier d'espoir. Lorsque sa propre coquille est abimée tel un pansement naturel, elle s'auto répare. La nacre est forte et magique, féerique, elle brillera toujours et jamais, jamais, sa lumière ne s'éteindra.

Était-ce pour cela qu'elle replongeait à chaque fois ?

Elle se réveilla en sueur. Un cœur palpitant et l'embarquant encore dans sa course effrénée, le mors aux dents. Elle haletait, comme revenant d'un sprint dans la forêt avec un fantôme aux trousses. L'adrénaline coulant encore dans ses veines, elle scrutait affolée tout autour d'elle essayant de percer la noirceur de sa chambre plongée dans le silence. Rien. Personne. Personne à côté d'elle. Sarah aurait pourtant juré entendre son nom. Encore. Elle aurait parié sur ses deux yeux qui la dévoraient du regard... et cette odeur.... Ses draps semblaient encore en être imprégnés. Impossible. Non impossible.

Elle revenait pensive sur son rêve.... Là, c'était sûr ; le sommeil l'avait abandonné pour la nuit. Aucun doute là-dessus. Ses mains étaient moites et tremblaient encore. Tournant et virant dans son lit, elle décidait d'aller se rafraichir. Elle laissait couler l'eau glaciale sur son visage. Un coup d'œil dans le miroir. Elle avait les joues rougies par le froid liquide, mais au moins les idées plus claires. Elle s'essuyait en plongeant la tête entière dans sa serviette de bain encore humide. Sarah se perdit quelque temps derrières les nombreuses mèches bouclées qui entouraient ses joues. C'est alors qu'elle sentit de nouveau la présence, dans son dos. Ce regard de poussières d'étoiles. Son souffle envoutant. Suivant l'effluve de son parfum ; celui dont elle n'arrivait pas à se détacher depuis son réveil agité ; elle pivotait lentement la tête vers la porte. Douteuse. Et elle l'imagina...

Comme il aurait pu se tenir, là, devant elle, du haut de ses 36 ans. Attendant impatient qu'elle le rejoigne. Visualiser ses traits, sa carrure, fabuler à ses nouveaux tatouages recouvrant toujours un peu plus son corps, sa peau... C'était aisé, bien trop aisé à son gout. Et surtout très risqué.

Elle rouvrit le robinet position eau froide à la puissance maximale et s'aspergea. Encore. Et encore. Elle se forçait à respirer, à expirer, à s'imaginer d'autres visages, bien moins passionnant. Sarah répétait l'opération à plusieurs reprises, elle tenta même de reprendre mentalement sa liste de courses puis jusqu'à sa to-do liste du lendemain. Elle essayait ; vraiment, face au miroir, face à ses cernes. Ses cheveux en batailles ruisselaient sur sa chemise de nuit. Une vraie folle. Elle fermait les yeux en les serrant forts. Mais quelle imbécile. Le sang lui en montait au cerveau. En priant, elle ouvrit prudemment un œil, puis l'autre. Elle humait l'air. Rien. Nul besoin de regarder à nouveau derrière elle. Sarah était bien seule face à son visage vide, désolé et trempé, confrontant ses yeux exorbités.

Maintenant c'était clair. Elle était belle et bien folle. Encore une fois. Il lui avait semblé si réel, si présent, et pourtant... Pourtant il n'était pas là. Il n'était plus là depuis 7 ans. Et d'un coup, comme ça, il venait de réapparaitre encore une fois dans sa vie pour tout chambouler. C'est comme si après des années de sevrage difficile et éreintant, elle venait de rechuter.

Honteuse, lassée et épuisée d'elle-même, incapable de retrouver le sommeil ; elle replongea. Encore une fois.

« Qui t'a filé mon numéro ? », relançait-elle, comme si la source du problème venait vraiment de là.

Son cœur battait l'impatience. Elle redoutait autant le contrecoup de sa curiosité, de sa faiblesse face à cet être qu'elle avait tant aimé, que tout son corps aimait encore malgré les ravages, qu'elle désirait lire de lui, entendre ses mots de nouveau.

Clément karma, son incapacité à attendre fut vite satisfaite.

« Joker », répondit-il quasi immédiatement.

Cinq pauvres lettres. Crevard. Des années de démences, un ulcère à l'estomac, deux dépressions, une énième nuit d'insomnie pour cinq pauvres lettres. Elles eurent pourtant le même effet qu'un tsunami d'héroïne perfusée chez une toxico, qu'un uppercut reçut en pleine cage thoracique.

« Comment tu l'as appris ? Agathe n'aurait jamais osé... »

« Pour ton divorce ? J'ai quelques tuyaux maintenant »

Il est vrai que des rivières et des fleuves entiers avaient eu le temps de déchainer leurs flots sous les ponts de leur vie.

Sept ans plus tôt, lors de leur dernier échec, Giulian était alors âgé de 28 ans. Il avait déjà plus que percé et sa carrière était bien lancée. Il était loin l'ado que le destin avait aimé malmener. Comme toujours, il avait su rebondir et même se servir de ses blessures pour avancer. Pour s'inspirer. Et finir par briller. La cité et l'amour l'avaient nourri. Sa cité à lui, son amour à elle.

« Je ne crois pas un mot de ce que tu viens de me balancer à la gueule, et d'ailleurs toi non plus, t'y crois pas toi-même, c'est impossible et tu le sais ! »

Ça, c'étaient ses derniers mots à lui. Il y a 7 ans. Il avait toujours semblé plus lucide qu'elle à ce sujet. Et ça, elle détestait.

Une fin des plus compliquée.

Dire que c'est à cause d'une minuscule blonde que tout a commencé... il y a plus de vingt ans !

 Un début pourtant des plus simples...



Flammes Jumelles, putain de Karma ! (En Cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant