14 -Giulian-

15 3 0
                                    

Depuis deux mois Giulian était de retour sur ses terres natales d'Ile de France. Ses dernières années passées en Italie l'avaient autant ressourcé que plongé dans les limbes de la culpabilité et de la colère. Mais il avait vécu l'annonce du divorce de Sarah comme une révélation divine. Pedro, en parfait agent digne des plus grands couteaux suisses, lui avait dégoté en un temps record un appartement des plus atypiques dans un de ces quartiers les plus typiques de Paris. Le luxe par excellence. Le label serait géré un temps à distance de Milan. Bien qu'il ne lui ai pas encore annoncé la véritable raison de cette lubie soudaine et existentielle, Pedro avait accepté le challenge et en avait profité pour caler quelques dates de shows en France pour Djéè mais aussi pour quelques uns de ses autres artistes. 

La pièce maîtresse de ce bien immobilier était un patio intérieur végétalisé dans lequel trônait une estrade de bois exotique équipée de différents instruments de musique. Au cœur de cet Eden acoustique, Giulian aimait composer pour le plaisir mais surtout y inviter ses amis et artistes les plus proches. En manque de verdure et de silence, il avait également missionné Pedro pour lui dénicher un autre nid, bien plus au vert, bien plus grand, bien plus intime et bien plus loin du coeur de l'effervescente capitale. 

Ses débuts à la cité des Rêveurs était loin derrière lui...

Bien loin cette époque où quatre par quatre, il avalait les marches de son immeuble miteux où l'ascenseur se tuait à la tache dans un mi-temps précaire comme pour beaucoup là bas. Quand sa destination se trouvait au sixième étage, où, porte de droite, c'était l'appartement de Youss, et coté porte de gauche, son antre à lui, occupé également par intermittence, par son père et son petit frère. A cet étage, ça ne sentait plus la pisse ni le vomi comme à l'entrée, comme devant la porte de chez Pedro, mais une odeur familière aussi appréciée par certains que détestée par d'autre. Un mélange de beuh émanant de chez lui, bataillant avec celle de la cuisine Malienne provenant de la grande famille de Youss. C'était le doux fumet de leur repère douillet, perdu au milieu de la misère humaine. 

Là bas, aussi bien à droite qu'à gauche, lorsqu'il n'était pas en cours, il y passait une bonne partie de son temps libre, ou sinon, il trainait dans les rues, taguait avec ses potes son autre nom sur les murs ou les vitres du bus à la clé. Djéè. Tous ensembles, ils trainaient aussi à la Place quand il faisait beau puis se réfugiaient au bar pour commander un coca pour trois et jouer au loto rapido. Avec les habitués, des piliers de bars aux alcolos, ils alignaient les cartes ou passaient le jour à lancer les dés.

Cette époque où déjà ils squattaient les canapés des uns puis des autres en fonction des dispos. Le sien était souvent le plus posé, sauf quand il s'agissait de manger, car chez lui, il n'y a jamais rien à grailler. Les gars se confrontaient au foot ; au baby, sur la play ou en vrai. Jessica, Agathe et... Sarah, les supportaient et papotaient. Elles passaient des heures et des heures juste à les regarder jouer. Sauf au baby où certaines parfois les fumaient, quand ils faisaient semblant de les laisser gagner. Les gradins du stade étaient leur palais. Ils y emmenaient leur musique, refaisaient les textes de leur sons préférés, chantaient et dansaient.

Ils erraient au centre commercial, juste pour regarder. Les filles faisaient leur marché et de temps en temps un des gars se dévouaient pour voler ce qu'elles désiraient. Ils leur glissaient au passage quelques ficelles du métier. Les entrainant toujours un peu plus loin du mauvais côté. Dans le fond du bus ils avait l'impression de se faire respecter. Les filles étaient comme des reines entourées de leurs chevaliers. Lui était comme un roi et sa princesse à lui, à cette époque là, s'appelait déjà Sarah... 

A cette époque là, ils faisaient des road trip en pleine nuit dans la forêt, se prenant tour à tour pour des aventuriers, des tueurs en séries ou des guerriers. Les filles criaient, les gars ne faisaient pas toujours les malins mais étaient là pour les protéger en marchant devant ou en fermant le rang.

Ils faisaient le tour des poches pour se cotiser, pour faire le stock en prévision des soirées. Acheter de quoi fumer, boire et « bedaver », c'était d'ailleurs pour certains le seul but de la journée.

Ils se partageaient des bouteilles où tout le monde buvait dedans. Il y en avait pour tous les gouts tant qu'ils étaient bons marchés. En fait, ils tuaient le temps comme ils pouvaient plus que comme ils voulaient. Quand 23h arrivait, dehors il n'y avait plus grand monde à croiser. Comme si le confinement et le couvre-feu avaient toujours existés. 

C'était bien rodé, et à y repenser, à cette époque là, son univers ne tournait pas si mal...

Oui, ses débuts à la cité des Rêveurs était loin derrière lui... Et ce soir, affalé dans le salon de jardin cosy qui garnissait les pourtours du patio, Giulian décapsula une nouvelle bière. 

Pedro venait d'arriver.  Alors il lui lâcha enfin la bombe prête à exploser qu'il gardait secrète depuis deux mois...

Flammes Jumelles, putain de Karma ! (En Cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant