23 -Sarah-

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Comme elle l'avait redouté, leur soirée de retrouvailles fut délicieuse. Une seule soirée avait suffit pour raviver la flamme. Mais une seule soirée était loin d'être suffisante pour rattraper le temps, et encore moins pour soigner ses blessures les plus profondes.

Et pourtant ce matin, elle tenta pour la énième fois de le sortir de sa tête.

Elle avait essayé de ne pas penser à lui lorsqu'elle s'était éveillée seule dans son grand lit vide, encore émoustillée par la vision qui s'était imposée à elle dans son rêve. S'empêcha de penser à lui lorsqu'elle quitta ses sous-vêtements pour entrer sous la douche. Arrêta d'imaginer qu'il l'y aurait rejoint pour obtenir sa première dose d'amour de la journée si ils avaient passé la nuit ensemble. Elle se força à oublier son odeur, sa voix, son sourire, ses doigts qui s'étaient posés sur la peau de son dos nu lorsqu'il l'avait fait passer devant lui pour rejoindre la piste de dance. Elle tenta de mettre fins aux ébauches de moments de vie qu'ils pourraient avoir en commun, de l'imaginer dans son quotidien, de se voir, elle, dans le sien...

Elle ne regarda pas les notifications de son téléphone toutes les minutes comme son cœur le lui réclamait mais quand à 10h37 son téléphone sonna, et qu'elle vit son nom sur l'écran, elle en eut le souffle coupé.

Elle s'occupa les mains, la tête et les sens pour brouiller les pistes, pour tenter de diluer la puissance de l'attraction qu'elle avait toujours pour lui, la radioactivité toujours intacte de ses sentiments.

Elle alla même dans la buanderie, fouiller dans sa boite à secrets rouge cramoisie, en extirpa aisément une lettre racornie et la relue, comme pour bien concrétiser ce qu'elle s'apprêtait à faire entrer de nouveau dans sa vie...

"Elle regarde l'eau couler. Elle aimerait pouvoir en faire autant. Vider tout ce qu'elle ressent. Au fur et à mesure que la baignoire se remplie, son regard se noie. Les larmes sont là, tapies mais elles ne sortent pas. De la vapeur commence à se dégager. Sa main se retire violemment, ultime réflexe de survie. Primaire. Incontrôlable. C'est bien trop chaud. Elle se déshabille, lentement, encore hésitante. Elle n'a pas envie d'être nue mais elle arrive à se convaincre que ce sera parfait. Que c'était le prix à payer. Qu'il valait mieux ça au reste. Ses vêtements échouent à ses pieds. Inanimés tout comme elle.

Alors elle s'immerge. Luttant contre les morsures sur sa peau. Elle ne veut rien montrer de sa rage, de sa peine. Du dégout qui l'habite. S'enfonçant, s'enlisant dans la douleur, elle abandonne tout. Elle ne veut plus rien entendre, plus rien ressentir. La tête immergée, elle essaie d'oublier. Elle aimerait taire jusqu'au silence lui-même.

Mais les bruits sous l'eau sont puissants. Hypnotiques. Elle entend tout. Le son du sang courant dans ses tempes. Les gouttent qui s'égrènent couplées au temps. La chaine, tout au fond, qui racle contre l'émail. Puis son cœur, pulsant dans sa poitrine. Boum boum. Boum Boum. Encore. Boum Boum. Boum Boum. Ça la martèle. Ça s'accélère. Ça n'en finit pas et elle souffre toujours.

Et les larmes sortent enfin. Intarissables. "

C'était un poème écrit de sa main, il y a maintenant plus de quinze ans. Un poème parmi tant d'autre. Un exutoire à la peine. Des mots contres les maux, comme le lui avait si bien appris Arnaud.

Elle s'était torturé l'esprit tout le restant de la journée, retournant la situation dans tous les sens.

 A 16h45, elle discuta avec Arnaud qui s'était inquiété de leur retrouvailles et qui avait désiré un débrief complet dès la fin de sa journée de cours. Il lui expliqua alors qu'il fallait qu'elle "fasse le deuil de certains briefs du passé pour mieux vivre avec les fameux fantômes qui la rongeaient et la tiraient sans cesse vers les profondeurs abyssales de la vie... ". Puis à 17h15 elle eu finalement son aval, surement par usure, et elle répondit enfin à Giulian. 

Flammes Jumelles, putain de Karma ! (En Cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant